mardi 23 janvier 2024

Une saison aux frontières, 1

Lesvos, Mytilène, camp de Mavrovouni 

Quand je suis arrivée à la fin de l’été le camp de Mavrovouni éclatait de blancheur sur la mer Égée. On aurait pu penser à une immense colonie de vacances sur l’un des plus beaux rivages méditerranéens, juste un peu trop grand, juste un peu trop géométrique. Des tentes rectangulaires éclatantes rappelant de loin la mer de serres d’Almeria (comme partout où la pensée sérielle se fait jour), une ligne de containers “isoboxes” pour les plus vulnérables, des silhouettes noires sur le gravier blanc, tout étant vu de loin puisque on n’entre plus dans le camp de Mavrovouni. Trois mois plus tard les “montagnes gonflées” d’Homère s’écrasent sur le rivage, la pluie incessante traverse les tentes où l’on se tient debout toute la nuit pour éviter les fuites, tout le monde veut des chaussures, tout le monde a des chaussettes mouillées dans les claquettes, plus rien ne sèche. Bienvenue à Lesbos.

J’y ai passé 4 mois. Là où tout le monde se presse, là où tout le monde veut devenir capitaliste, là où les no border anticapitalistes viennent aider les non-capitalistes à devenir capitalistes c’est à dire esclaves. Là où Lidl a ouvert une de ses plus grandes, une de ses plus belles enseignes, à 50 mètres du camp, où les migrantEs et les locaux viennent dépenser leur argent. Je n’avais jamais vu (en tous cas à Marseille) un Lidl aussi "beau", aussi bien achalandé. Phare dans la nuit, dans le vent, dans le pénétrant froid égéen, Lidl semble vouloir attirer les petites embarcations dans ses bras nourriciers. Il paraît qu’au début il y avait même une file pour les migrantEs et une file pour les autres... “C’est quoi cette vitrine ?” demande-je à une activiste turque en exil, “test the West ?”. -“C’est un lieu où les GrecquEs peuvent acheter moins cher", dit-elle embarrassée.

Est-ce bien sûr ? La vie à Mytilène, sur cette île pauvre touchée par l'inflation, est-elle si chère ?  Les mini-markets du centre ne vendent pas de produits préparés ou très peu, les minimarkets du centre vendent des produits locaux, des produits de base, ce n’est pas encore un société transformée, une société de plats préparés et de boissons protéinées. C’est une société où tu achètes des produits de base pour cuisiner. Et le fait est que les résidentEs du camp n’ont pas les moyens de cuisiner, le fait est que les résidentEs du camp doivent beaucoup patienter pour prendre le bus jusqu’à Mytilène… Alors, Lidl, entreprise de distribution allemande fondée en 1930 par Josef Schwarz, que fais-tu là à l’orée de ce camp ? Sur ce rivage ? Dans ce pays que les politiques européennes ont mis à genoux… ?


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