Scène
d'enfance anthropophage
Quand
nous sommes en colère, nous nous vengeons sur le con doux et chaud
de ma mère. C'est un con prolétaire et oriental qui peut tout
supporter dans l'existence.
Ça
commence généralement comme ça : on est au repas du dimanche, le
père penché sur la soupière se met en colère et dit oooh, mais
ça sent la merde. Il tente d'écraser son poing sur la tête de
mon frère, et n'y parvenant pas (mon frère est un renard), le
plonge dans la soupière. Pendant ce temps il (mon frère) se touche
frénétiquement ses petites parties compressées par le short éponge
bleu et et le père m'ordonne toi, tu vas donner la main à ta mère
! en tentant de garder son air de fou sérieux et abruti.
Comme
je ne suis pas d'accord, je veux dire pour jouer le rôle de la fille
de l'histoire, je mets délibérément le pied dans la soupière
pleine de sauce au vin et le père s'en prend plein la tronche.
Je
ne veux pas qu'elle saute par la fenêtre mais je ne veux pas non
plus être comme elle. Attention,
dit le père, elle va sauter par la fenêtre ! Et nous nous
accrochons tous aux anses de la soupière en tentant de replacer de
force le couvercle (on se coince les tendons et les os au point de
grandir tout tordus, mais puissants).
Je
ne veux pas non plus être comme mon frère : lorsque le père
s'emporte, sa petite queue retombe toute molle sur le skaï-velours
vert de la chaise et son regard devient vide comme un aquarium. Mon
frère adore glisser son petit bâtonnet dans la soupière et pisser
dedans (pendant que le père boit et joue aux cartes) mais on ne peut
pas compter sur lui, je veux dire stratégiquement, c'est un zéro
politique.
Le
con de ma mère sert de frigo, garde-manger, portefeuille
d'allocations familiales, elle peut endurer la vie et la mort sans
jamais rien perdre de sa douceur, même quand le père se met très
en colère, qu'il ferme le poing comme un lanceur de marteau et se
met à cogner la tendre porcelaine sauce-au-vin de ma mère en
éjectant l'ail marine du fond : et rha et tiens, et prends ça !
nous faire manger du lapin à la merde !
Quand
on a fini, c'est fou comme a largement dégueulassé le monde au-delà
de son con (qui n'est ni un nomos ni une phusis mais seulement boîte à rythme et électromagnétisme) ; la
sauce au vin resplendit sur les rideaux blancs, le chien a dégueulé
de terreur sur la moquette (car nous avons aussi un chien un peu
frisé et pédé sur les bords qui s'avère être le seul éphèbe
de la famille et noir) : c'est ma mère qui va nettoyer l'écharde et
le sang alimentaire dès lundi matin, à peine serons-nous partis aux
champs du travail et de l'instruction de masse.
J'ai
fait mes mathématiques et mes universités avant de les conchier. Il
n'y a pas d'Autre, pas de Majuscule, pas de Concept, la Pensée est
un filet bien trop large pour attraper le vent coulis de son con
ravagé. Dans mon lit j'entrevois des histoires sauvages à maille
ultraminusculaire, pleines de vermine scopique. Comment elle se
relevait tous les jours avec ses yeux rougis et sa constance soupière
-elle n'a jamais sauté grâce aux menottes ramenées par le père
dans sa salopette mais je voyais de la fenêtre l'endroit où elle
imaginait s'écraser (un parterre de roses blanches au lieu du bac à
sable infanticide). Je n'ai pas oublié son odeur de violette, je tue, j'ai appris à tresser court pour la
retenir, comme un plaisir retardé.