mercredi 27 avril 2011

Leïla San Juan, de la Calade


Nue dans la salle de bain au 12ème étage du T3, elle repasse un nuage de blush rose sur la ligne des pommettes et détache ses cheveux d'étudiante. Bonne combi avec le gloss à lèvres prune. Les ongles noirs pour la main gauche, rien sur les autres, elle choisit la veste léopard en polyester-viscose-élasthanne (5 euros au marché du Soleil) et le legging laqué. Elle a aussi le sac Guess 100% pétasse et les sandales Castaner dorées (moitié prix à la boutique La Guardia) mais elle se la joue souvent versaillaise en mode commando : des Jourdan vernis noirs à talon rouge qui ont comme une tendance à rayer les carrosseries, de flics notamment.

Elle sort toujours la peur au ventre, rien sous la veste, une lacrymo dans le sac, mais c'est à cause de ça qu'elle sort. Elle va passer le premier cordon d'insécurité, les lascars de la dalle d'en bas qui ont renoncé à lui mettre son petit frère sur le dos mais pas à la baiser (y'aurait pas moyen de moyenner ?), puis le second entre Cap Janet et Mourépiane, en fait un danger nomade qui se déplace avec elle. Patrouilles de la BAC, fourgons de police rasant le trottoir au cas où elle n'aurait pas ses papiers (l'invite plongeant sur le décolleté : tu montes ? on te ramène ?)

À cinq ou six heures, quand les parents sont encore à la maison, elle branche sur la toile ou par sms. Après, quand ils s'en vont tous ensemble à la Ciotat chez Malika, elle a le champ libre. Elle en a marre de la Ciotat. Les parents ont bien compris qu'elle était douée, elle peut réussir Sciences Po sans remise à niveau, inch'allah (un an d'économie et pas besoin de leur prépa spécial zone) : ils la laissent travailler seule tout le week-end. Elle a l'ordi et la connexion pour elle, ch'allah la politique, elle fréquente les anciens communistes de l'Estaque et même les autres, au PS, ceux qui sont venus la chercher l'an dernier pour leur liste.

Ce soir elle a un rendez-vous chemin du littoral. Un truc sans danger, qu'elle connaît, elle s'est fait tatouer un scorpion sur l'omoplate gauche pour apprendre à vivre avec ce qui lui fait peur. Elle va se faire 50 euros à Mourépiane, doubler la mise peut-être à l'Estaque. Après, elle a le fric en main pour s'offrir le centre et même payer des coups, rentrer à l'aube avec le bus où dormir dans une chambre pleine d'odeurs douces et inconnues qui ne font pas peur.

Elle porte ses peintures de guerre pour ça. Quand elle n'a pas une thune elle s'offre un maquillage gratuit à Séphora, dédaigneuse et nonchalante ce qu'il faut pour ne pas se faire  harponner par le vigile. C'est fondamental la peinture de guerre, la peinture de guerre sociale qui s'apprend à l'école et dans les pubs Guerlain. Elle a le code et le cerveau qu'il faut pour être admise comme beure rentable, une beurette laïque, sexy, intelligente et malléable. Qui donne envie de s'impliquer, de raquer, de sourire.

Elle pousse la porte du “Gabian”. Nani est là, déjà inquiet. Elle repère deux “amis” qui se sont fait bien propres autour du billard. Ça va aller  très vite. Il suffit de leur dire qu'ils ont une belle bite, ils jouissent en deux minutes. Elle écrase une clope. Je ne dois rien à ces connards du PS. Leïla El Haram San Juan ne porte pas le hidjab, elle est de ces familles douces et craintives qui offrent des gâteaux aux profs après l'aïd Al-Fitr pour bien montrer qu'ils ne sont pas des terroristes. Mais elle porte quand même un bonnet en hiver, un turban en été, pour des raisons de résistance intime qui la regardent.

C'est un bon soir ce soir, il n'est même pas dix heures et elle a de quoi s'offrir un taxi. Il y a soirée Baby Doll au “Warm Up”. Elle va refaire ses peintures au “Caruso”, rigoler un coup avec les mouettes, passer la frontière du Tout est Permis avec un petit tampon de guerre au poignet. La commotion sur le dance floor, c'est QUI rentrera avec Leïla Shangrila ce soir. Une femme âgée bien souvent -elle en pince pour les psychiatres et les journalistes ; c'est la cagole déceptive par excellence, pseudopétasse et gérontophile rouge-gloss préfigurant un nouvelle ère amazonienne : superculottée et surmaquillée dehors, dure comme le fer à l'intérieur.

Je l'avais “pêchée” un jour sur GD, aimantée par le clignotement de son étrange pseudo métis. Elle venait de suivre trois semaines d'empoignades pseudo-féministes au sujet de l'émancipation par la force des indigènes de la République, ces victimes de nos propres terreurs censées demander à grands cris la “protection des lois” contre leurs frères, leurs pères et leurs grands-mères. Elles sont folles, cousine.

C'est la plus belle gouine de Marseille.
Elle vient de réussir Sciences Po Paris.

vendredi 22 avril 2011

La esquina es mi corazón


Les gens d'en bas de chez toi savent tout sur toi.
Surtout s'ils ont un bar et un café-terrasse en bas de chez toi.

Au début ils t'ont vu arriver seule ; ils avaient sans doute un peu de pitié pour toi : une belle femme en âge qui n'a pas trouvé d'homme, c'est pitié. Ils se montraient aimables et compatissants, on les sentait tout prêts à se dévouer si besoin était pour réparer cette misère, cette terrible injustice à ton égard. Te tenir la porte d'en bas, t'aider à monter un carton pour te prouver leur force et leur nécessité : tu les remerciais chaleureusement tout en sachant que tu n'avais nul besoin d'eux, simplement parce que tu sais qu'il ne faut jamais humilier un homme.

À cause de cette particularité sans doute : tu n'as pas l'air d'une gouine. Tu ne fais rien pour ça mais quand même, un ami te l'a dit un jour : “tu respires la queue”. Quelle drôle d'idée, as-tu pensé, respirer la queue.
Mais en vérité, un homme vivant sous influence hétéroïque a tout intérêt à penser qu'il y a des femmes qui ressemblent à des gouines et d'autres pas. Ce qu'il doit penser c'est qu'une femme gouine est une femme-homme, une femme laide, une femme froide, une femme chômeuse ou perdue, une femme tellement pourrie de partout et en-deçà du désir mâle qu'elle n'a pas eu d'autre choix que de se faire gouine (ce qui n'est en rien flatter le goût des femmes et des gouines).

Les hommes du bar se demandaient ce que tu faisais là-haut quand ils ne te voyaient pas, tu travaillais peut-être, pauvre célibataire condamnée à se dévouer à ses élèves. Ils te voyaient sortir parfois mais ne te voyaient jamais revenir, donc c'était clair, il y avait place à prendre au 3ème étage.

L'un d'entre eux s'est enhardi un jour depuis la cuisine du premier étage : je te monte une crêpe si tu veux et on parle. J'amène tout et toi tu me reçois.
Tu l'as regardé incrédule, il a ajouté “une super-crêpe avec plein de glace dessus” (il a montré la glace avec les mains), un grand type dodu avec des cheveux teints qui ressemblait à Aldo Maccione. Tu l'as remercié poliment, il a juste un peu insisté, le prix d'une crêpe quand même (avec plein de glace dessus), et tu es remontée songeuse.

Souvent dans les rues, chaque fois qu'un mec te siffle ou te harponne, tu te retrouves face à cette équation. Passagers de misère, KO d'alcool, ventripotents et chauves secouant leurs clés de voiture ou même vieux comme ton père, ils n'ont aucun doute, aucune peine à te faire correspondre à leur désir. Une femme qui rentre seule à cette heure, une pauvre esseulée qui redescend vers le port avec 10 ou 20 ans de moins que toi est forcément pour toi. Tout triste et non-bandant, tout pourri que tu sois, cette femme à cet âge n'attend que toi, c'est acquis.

Mon premier amant avait 10 ou 15 ans de plus que moi, embonpoint de gourmet et calvitie naissante. Un jour où je disais en plaisantant que je n'avais qu'un vice (fumer), il avait ajouté : si l'on exclut les vices de forme. Qu'avait-il voulu dire ? J'avais 20 ans ou presque, je le dépassais d'une tête et je remplissais généreusement mes bonnets. Pré-ptose du sein, vice de forme. Cette petite fouine de Houellebecq nous l'a dit et nous sommes aujourd'hui sommées de le croire : pour que le désir perdure dans un couple il faut un peu de “bonne volonté” (notamment féminine). Du bonnet, du silicone, un petit coup de bistouri pour le X (et le XL). Une femme doit à son homme d'avoir une tenue de seins impeccable, des dents blanches, 10 ans de moins que lui.

Toutes choses qu'une gouine a appris à oublier. Elle peut draguer des femmes de son âge, se faire draguer par de plus jeunes ; de plus vieilles et de plus ridées qu'elle peuvent compter sur elle et pourquoi pas la repousser. Corps plein, morgue de cavalière, elle a oublié d'être moitié, mineure, sac à provisions vide ; à chaque fois, l'infériorité de fait dans laquelle elle retombe aux yeux d'un homme la saisit, et la stupéfie.

Quand les gens d'en bas ont commencé à comprendre que tu rentrais avec des femmes, des femmes de tous âges, de toutes sortes de prestance, ils ont changé de mine. En plus des femmes toujours différentes. Des femmes qui arrivaient et repartaient après t'avoir baisée, des femmes qui ne s'arrêtaient même pas à la terrasse le temps d'un café : ils ont perdu leur mine de chevaliers servants. Et jamais d'hommes ou pas les bons, ce ballet de femmes mal élevées, celle qui part sans se retourner, celle qui est un jour avec son mari et l'autre avec son labrador, les gens d'en bas se sont fait un dossier comme ça sur toi (deux fois plus haut que la glace).

Ils ne te tiennent pas la porte, ils ne te proposent plus de crêpes, les tables de la terrasse sont de plus en plus près collées au seuil de l'allée, tu te faufiles derrière les consommateurs gênés qui te disent “pardon” : un de ces beaux dimanches ensoleillés où l'on rentabilise la terrasse à donf les tables te barrent la sortie...

Au fond ce qui est insupportable ce n'est pas le scénario lesbien, c'est la menace qui rôde autour : c'est l'autonomie, c'est ton autonomie sexuelle. On a presque tout lâché aux femmes, l'autonomie civique, économique, si en plus elles ne sont pas intimement convaincues qu'elles ont besoin d'un homme dans leur vie, alors tout est perdu. Dans l’hétéroréalité, des femmes ensemble sont et doivent être perçues comme des “femmes seules” ; un homme avisant quatre femmes autour d'une table n'a besoin d'aucune ironie pour leur demander ce qu'elles font là “toutes seules”. Des femmes ensemble oui, mais "seules". Toujours.

Le seul mystère pour les gens d'en bas, c'est comment toutes ces femmes ont fait pour arriver là. D'où sortent-elles ? Où se sont-elles trouvées ? Comment se sont-elles rencontrées ? Comment se fait-il que le monde de la Soustraction ait été brisé ?

Des doigts sur un clavier solitaire, moi devant ce clavier,  dans ce cercle où l'oiseau du réel est tombé : je les ai trouvées là, j'étais là quand on ne me voyait pas.
Parce que la toile c'est tout et n'importe quoi (grande chose), on peut y faire n'importe quoi avec n'importe qui, se prostituer sur Second Life, demander aux gens de voter pour "mon bébé", fomenter la révolution tunisienne,
briser la soustraction de la femme à l'autre femme.

lundi 18 avril 2011

Qu'une cascade d'objets bafoués


C'est une soirée “tranquille” chez moi, en plein février, on est 6 ou 7 au plus, avec un gentil repas et de grandes serviettes colorées, cette nuit-là les standards de la soirée tranquille entre ami(e)s vont exploser.

À 6 heures du matin je fais le tour des trois pièces, réveillée par le pulsar "Four Roses" qui n'en finit pas d'émettre dans ma tête. Deux dans la bibliothèque, un qui a jeté un matelas dans l'embrasure de la porte, un autre nu dans la chambre accroché au drap de la couette dont s'est emparée une autre sur le canapé du salon, moi qui cherche le hamac pour me recouvrir. Des corps épars comme frappés d'électrocution, un chaos indicible de verres, d'assiettes, de sapes, de cendriers et d'étagères effondrées sur l'Imac vaincu : je me demande ce que c'est que cette explosion, comment en une seule nuit nous avons généré tant d'énergie sismique.

Je me recouche avec une serviette supernova sur le front, EvaB me tend la main.
Personne ne ronfle, un silence exaucé flotte sur les corps anéantis. Ce n'est pas le pulsar qui m'a réveillée, c'est autre chose, une odeur oubliée depuis longtemps, une odeur que mon corps a désappris à synthétiser : le foutre mâle.

Elle ne vient pas de la pièce, elle ne vient pas de lui, elle vient de moi.

Quand il a chanté pour la première fois dans les hauts de St-Julien je l'ai trouvé beau. Il avait le tour des yeux oriental, des yeux cernés de bistre comme dans ma famille grecque, et ce ne pouvait être, pour vivre avec cette femme, qu'un homme d'une finesse exceptionnelle, cet homme qui nous montrait ses govend turques avec une joie d'enfant.

Je la prenais, elle, pour une maîtresse femme, nitromatrone, demi-soeur Papin et Lol. Valérie Stein à la fois, en fait une femme battue qui avait servi pendant des années de sac à foutre à des hommes, leur avait préparé des tomates farcies, élevé des enfants, donné des approximations de plaisir.
Quand elle arriva avec sa révolte écrite, sa prostitution écrite, son sexe écrit, petit diamant de mort courant déchaussé sur une route perdue, c'était une enfant brillante qui avait refait tout le chemin du désastre à l'envers. Avec des livres magnifiques et vérolés.

En les voyant venir je pense : pourquoi pas seule ? Comme toujours, avec les hétéros, ce moment où il conviendra de se demander quoi faire du mari, savoir où on le met, à quelle place il va se faire connaître.
En pensant à M. je le vois comme un homme possible. Oui mais seul. Attaché sur une plage au printemps, docile. Je le lui dis, il rit. Il n'aime pas trop, attaché. Et puis de toutes façons on est en hiver (ça c'est moi qui le dis avec un silence abrasif).
Il s'est levé, se penche à la fenêtre.

EvaB se tourne vers moi, m'attrape par le menton. Il dit “je pars”, elle : "non, reste".
Et c'est parti. Son scénario, je le connais. Je l'ai rencontré partout dans le monde. Je sais que je vais la trouver exaspérante et redoutable. Elle et son mec. Qu'il faut tout prendre, ses mecs, son chien, sa chute. Qu'elle voudra s'évader par le coffre hétéro-arrière, qu'on s'empile tous là-dedans et qu'on parte à 130 à l'heure dans le mur en chantant “ah que la vie est belle”. C'est une compilarde, une soiffarde à sec, toutes les séquences il faudra les refaire pour se retrouver franches et nues au début de l'histoire. “Tu me paies ?”, “Va te faire, il te plaît”, “Et alors ?” Les hétéros, il faut tout leur dire, qu'une gouine ne doit rien à personne, ne partage pas une femme avec un homme, a depuis longtemps apuré ses dettes. Elle n'entend plus, je m'encolère, je quitte son corps plaignant. Vais vers M.

La taille de son sexe je l'évalue depuis le début. Je sais qu'il a flairé un con nouveau, que sa queue ne pense plus qu'aux moyens d'emprunter la voie expresse, se superfiche de partager quoi que ce soit. Avec qui que ce soit. 
Ses mains me déshabillent, je lâche tous les autres derrière nous, je m'oublie, je les oublie, je suis un missile sexuel mandaté par l'Onu pour mettre tout le monde d'accord. Je prends son sexe entre mes cuisses, pour l'instant c'est lui qui est coincé par le mur et je bouge comme je veux. J'offre mon dos, j'offre mes fesses nues à EvaB, je sais qu'elle ne va pas bouger. Je la condamne à compiler. Je sens les mains de ThéronZ passer sur le sexe de M. Un tout petit quelque chose se dépense au creux de l'abîme entre moi et M. Puis puis plus rien. Un rien profond et bleuté. Une colère démaillotée. 
Ses hanches, ses cuisses, ses fesses, ses épaules, ses aisselles, ses reins, sa chevelure ou rien, rien d'elle qu'une cascade d'objets bafoués.

J'ai pris le mari d'Eva sous le regard d'Eva. Je veux dire je l'ai pris en moi, bien profond.
Je suis revenue vers elle par la vallée du Jourdain et je lui ai annoncé que son homme était mort. Trois fois.
Le jour se levait sur le jardin d'Éden et nous avons fermé les volets.



Nous étions franches et nues.         Mais l'histoire n'a pas commencé.           Le grotesque déclinait les branles pâles d'une orgie sans joie, des éclairs, des esquisses d'étreintes qui ne trouvaient personne et qui avaient titubé dans le néant. Tout avait déjà sombré dans la catalepsie du whisky.                    Un peu avant l'aube, Marilyn arpente son antre rouge. Les corps épars sont électrocutés. C'est un silence exaucé qui flotte sur les cadavres purulents d'un foutre unique, le chaos des verres, les nippes, les cendriers et les étagères effondrées sur l'Imac. Elle a mal à la tête. Elle ne sait plus ce qu'elle fait là, ce qu'ils font tous là.                     Un peu plus tôt pourtant, Marilyn se détache sur le fond pourpre dans l'éclat violent d'un spot blanc. Seule, elle émerge du chaos, son corps blanc est splendide, magnifiquement éclairé par la droite. Le casque de ses cheveux ressemble à celui d'une poupée, curieusement épinglée sur les lèvres d'un homme. Elle est debout, nue et seule devant le mur. Il y a peut-être un homme qu'elle tente de tuer mais on ne le voit pas, il est caché par la chute de reins d'un mannequin raide et suspendu aux lèvres invisibles.   Personne ne l'a déshabillée.   Elle est magiquement nue. La scène est aveuglante, elle éblouit mes yeux saouls.          Mais le tableau se fissure, Marilyn est retournée, les corps ont trébuché vers l'avant, elle titube sur ses jambes écartées, ses seins pendent. Je n'ai pas bougé. Je ne veux pas voir que Marilyn est un sac à foutre. Je vois juste l'oscillation du plaisir dans l'abîme entre le con de Marilyn et le membre d'un anonyme.

vendredi 15 avril 2011

Aime ou meurs : publicité à des besoins qui n'ont pas reçu de réponse



Le seul problème, avec
  “l’ennemi” étant : qu'il peut très
          bien se passer de jouissance...


3ème stuka : B11 

Elle tournoyait au-dessus d'“Entre filles“ depuis quelques temps déjà, à deux, cette figure se répétant, comme si le forum était le terrain de largage idéal pour les couples qui ne se trouvent pas.
Elle m'a repérée, s'est intéressée semble-t-il, malgré l'antipathie pour moi de son acolyte. Au moment où je lance un sujet sur Cannes, elle descend en piqué sur le forum.

Pourquoi ? 
Je parle de tout, avec une sorte d'impudence tout-terrain, mais là je viens de m'engager sur le sien. Elle va me rabattre mon caquet comme on l'y incite, me montrer ce qu'il en coûte de parler ciné en présence d'un spé.
J'aurais toujours dû me souvenir de cet élan originaire, je l'ai fait d'ailleurs, tout en me gardant bien d'agir en conséquence. Que penser de quelqu'un qui s'élance vers toi mu(e) par un élan correctif ? Que tu vas voir ce que tu vas voir...
Et j'ai vu.
Décembre 2011. B11 a disparu de ma vie dans un nuage de fumée. Rentrée dans son antre à films, ses clopes à films, ses règlements de compte intercinéphiliques. Je reprends avec TectiS la conversation interrompue par B11.

Ça va durer 3, peut-être 4 semaines. Elle a quitté son pseudo officiel. Tous les jours elle poste un pavé de haine. Au début c'est ténu, c'est sa rage, sa douleur à elle, qui la regarde au fond. Puis l'exutoire se change en combat. Les initiales de TectiS apparaissent, les miennes : c'est parti, on va voir ce qu'on va voir.
B11 adore le monologue, c'est sa spécialité en live comme à l'écrit, en revue, au téléphone, à la plage, elle peut transformer la totalité du moment, du vivant ou du paysage en monologisme ; la tabagie et le monologue fondent son écosystème, irrespirable pour les autres.
Jour après jour elle ratisse les détails, ses moments passés avec T., ses moments passés avec moi, jour après jour mijote et triture le vécu, en extrait peu à peu tout ce qui peut servir à l'acte d'accusation dressé au nom de l'outrage qui lui a été fait : ne pas avoir été aimée.

Tu ne mouillais pas le jour où je t'ai ? si si, tu mouillais, je l'ai mesuré avec le doigt, aaaaarh, tyranne, ogrure, tyrannie du non non je t'ai pas violée ! C'est-y pas toi qui es venue me chercher moi qui ? moi qui qui ? qui t'ai fait écouter mes disques ? Trahison, aaaarh ! Le pouvoir tyrannique des femmes passives ! (smoking) Trahison ! Oui oui tu m'as godée une fois et chevauché les fesses 1,57 fois de gauche à droite et longitudinalement mais passive, à 16 heures 30 et 50, disloyauté, (smoking), l'autre salope qui a fraudé le rsa, à mort ! Aaarhh, toutes mes noblesses et vos saletés ! Tu n'étais plus avec moi en août, en septembre, en octobre ? Mensonge ! Trahison ! Manipulation ! (smoking hard) Lui péter la gueule à l'autre cette clown fausse amie, ton amie aussi ? Aaarrh, à moi ! Mon amie félonnie ! Toutes nos amies pas touche, (smokin' & smokin') toi pas toucher nos amies, moi pas toucher aux amies des amies des ex qui se rencontrent toutes sur gd ! Interdit de vous toucher sur gd ! Grrr ! Les chocottes de l'alien quand on n'accueille pas l'Autre-en-soi ! Bouuuuh ! Moi qui t'ai défendue, moi qui l'ai, dans MA maison, chez MA mère, oh let me smoke, yeaaarh, rock'n roll attitude, (smokinblack), à MA table dans MA maison de MA mère, oser t'approcher de MA LN qu'elle est À MOI et seulement à MOI ! Lui avais dit que je me séparais en septembre, me désépare en septembre, orduuuuuure amie, aaaarh, punk is dead, leur cracher à la gueule à toutes, murderers ! Au crime! À moi ! Ça recommence ! Ma reine à moi ! Fuck them all !

Je repense aux si belles pages de Proust sur le désespoir de ne pas être aimé, à Dustan pleurant dans Nicolas Pages son propre “je t'aime, tu me jettes”. Elle s'en empare pour le mettre dans son camp, sans comprendre que la différence entre l'auto-fiction et le reste est précisément ce passage des "gens" à soi, de la vérité si facile à détenir sur “les autres” à la si difficile expérience de soi. “L'auto-fiction, c'est se mettre sur une place publique, s'arroser d'essence et attendre la flamme” (dit le lynché, et non le lyncheur).  

20ème jour, 21ème jour, 22ème jour. 
Le forum est un formidable frigidaire à ressentiment. Dans la vie les gens restent ou s'éloignent, le dialogue est maintenu sur un contrat minimal ou rompu. Personne ne passe des jours et des nuits à t'insulter avec ton consentement. Sur le forum une histoire d'un mois revient secouer les meubles pendant des années : non-lieu hanté d'histoires avortées, d'histoires mortes-nées qui ne peuvent plus quitter le territoire des vivants. Parce qu'il n'y a plus personne en face pour faire un geste ou pousser un cri, pour dire arrête, je m'en vais.

Ça ne se calme pas : je suis allongée nue en place publique,  grattée, fouillée au bistouri. Toutes les initiées ont compris, ça ne court pas vers le silence mais vers le hurlement. Le 25ème je tente de l'arrêter : elle part en vrille. S'empare de mon profil dont elle connaît les clés, change les serrures, revient poster, injurie sous mon nom, débloque à fond. Malheur ou chance, un troll justicier venu aouter les cibles semi-anonymes du topic provoque enfin la réaction du webmaster. Retrait des "sujets", suppression des profils. Silence de cendre. 

Mon pseudo est mort, détruit par B ou par le site peu importe, Listenoire n'est plus. Je me penche à la fenêtre, diastole, systole : quel calme ce matin. Il pourrait presque neiger mais ce n'est pas la peine. Les sons remontent avec la même longueur étouffée : ce bruit vague qui s'endort, c'est la vague sur le bord.
C'est la plainte presque éteinte d'une sainte pour un mort.

Cinq mois plus tard, au printemps revenu, je flaire un troll acerbe.
Elle est revenue. 
Égale à elle-même, porteuse d'une haine intacte. Juste un peu repeignée et remaquillée ce qu'il faut pour se faire un air moraliste.

Il n'y a ni sainte ni morte, il n'y a que l'interminable fracas au vent des gréements qui n'ont pas pris la mer.

vendredi 8 avril 2011

Avez-vous foi en vos rêves ?


Reine-du-péché.org : “Vous pouvez cliquer sur le pseudo de votre choix et savoir pourquoi LN n'a pas prolongé”, “Sélectionnez le bon gode et passez une nuit avec Listenoire”, “Quiz : 10 questions pour quitter sans mettre le feu”, “Clique sur la carte et trouve la zone érogène de LN”, “Tuto : mesure l'humidité de ta compagne sur Ipad et publie les résultats avec Igro.app”.

Presque trois ans se sont écoulés depuis ma première entrée sur le forum. Ma belle vie je l'ai eue. Tout le monde sait sur GD comment je couche, ce que je dis, comment j'hypnotise et trahis.
J'ai été heureuse. Pour la première fois de ma vie les femmes ne m'ont jamais manqué. J'ai de la chance, je le sais : j'ai traversé la Soustraction. Mais j'ai fini par comprendre, à 46 bientôt 47 ans, une chose que j'aurais pu ne jamais savoir. Le couple pour moi c'est non. Le couple c'est fini. J'ai rencontré des femmes belles, des femmes éveillées, des femmes qui savent tout faire comme seules des gouines, mais “être avec quelqu'un” comme on dit c'est non. Les petits appels, les habitudes de rendez-vous qui se prennent, les sms, la distance et le rythme à tenir, c'est fini. Mon désir qui ne tient pas deux mois, c'est fini.

J'ai l'impression que tout se passe à l'envers. Que des célibataires qui se rencontrent, filles ou pas, vie commune ou pas, ça s'indexe encore sur le mariage. On n'en est qu'à la séduction, on se connaît à peine, on ne sait même pas encore si on aura de l'amitié et déjà la structure est là, elle tombe, elle est sur vous. Je me dis ça, c'est fini, le dire tout de suite, ce sera dur avec les lesbiennes, elles ne voudront pas, ne pourront pas. Comme TectiS parce que. Je décide : penser d'abord au soin des amitiés, des personnes qui te plaisent, indépendamment de leur cul, des personnes dont tu partages la vie, la compagnie, la conversation. Ne pas les voir parce que tu pourrais être avec elles mais parce qu'elles te plaisent. En être sûre. Hétéros ou pas peu importe. Parier sur des femmes libres, sur le fait que le désir a toujours circulé quand il y était. Faire signe aux louves, m'offrir et me reprendre, rien de plus.
Arrêter les mariages.

Un plan originaire : EvaB, scène première.
C'est l'été. L'été c'est le même bonheur que le printemps sauf qu'on n'arrive plus à le tenir dans ses mains. Elle est seule attablée dehors avec ThéronZ. Tous les autres sont autour du foot à l'intérieur pour un match de Coupe, je ne sais même plus qui et quoi.
Elle est penchée vers lui par dessus la table, il l'écoute avec attention. ThéronZ qui écoute, c'est bon signe. J'approche comme si de rien n'était. Elle est là de toute sa présence, c'est drôle une présence qui ne monnaie rien, j'ai envie d'aller cueillir des fleurs dans le talus et de les lui donner. On nous présente, je présente ma fiancée. Ma fiancée malaimable, ma fiancée que je n'aime pas, avec qui je vais partir au Mexique, une catastrophe.

La fiancée rejoint la Coupe, je m'assieds, on parle de son livre, de Millet, de l'amour en plein air, de comment faire avec les mots obligés. Ils reviennent. Elle dit : le Jack Daniel's rend fou (le prouvera), ThéronZ est tanqué sur mes genoux, je ne vois plus les gens je les écoute. Tard dans la nuit, après qu'on a chanté, elle dit “moi la jouissance je ne connais pas”. J'entends ma fiancée glousser, “ouhla ouhlala”, personne ne fait attention, tant mieux. Les voix explorent, continuent, laissent un silence :
-“Ouhla, ouhlala, t'es frigide alors ?”.
Je ne vois pas l'explosion d'EvaB, je l'entends.
C'est un mur de colère qui s'effondre. Libère une voix lourde qui monte dans le jardin, explose en vol, retombe sur Marseille à nos pieds. Ah que la vie est belle.

Scène seconde, jour de l'an : elle se lève dans son manteau d'écarlate, nous regarde avec embarras : “je voulais m'excuser”. Mais la fiancée n'est plus là.
Moi je suis la nouvelle”, dit TectiS.
On rit.
Je revois son corps de femme grosse délestée d'elle-même, masse gracieuse, dansant comme une Africaine en transe avec son sourire bunker. La tache rouge de ses lèvres mord l'air au milieu du blanc. "Schatz".

Avez-vous foi en vos rêves ?

Prose du bûcher, de la vitesse et de l'arrêt cardiaque


Février, encore le froid. Nous n'avons pas fini d'hiberner, nous sommes encore toute recluses et fripées. Parfois nous sortons nos tenues de soirée, nous repassons les nuits qu'elles ont traversées, un numéro de téléphone, un briquet emprunté à un visage dont le nom s'est évaporé. Je m'aperçois que la vie sensorielle génère une mémoire inverse à celle du forum (victoire de mots) : tout ce qui reste est emmêlé à des cheveux qu'on a touchés, des variétés de sueurs, de parfums.
La lumière du matin.
La persistance du Four Roses.

Dans le lit crème des vacances, à Lyon : ThéronZ me fait savoir que je suis invitée par EvaB. Elle a 50 ans, moi 3 heures pour faire Lyon-Marseille. Je retire un livre intouché des rayons de ma mère, je l'enveloppe à Montélimar ; à 20 heures pile je passe devant Mornas-village, là où chaque fois mon cœur se dépoussière.

Je les trouve dans un grand appartement aux plafonds troubles, déjà bien allumés. Wiklau m'enlace en disant “c'est dégueulasse, on n'a pas mangé”, ThéronZ est en peluche vert-rouge, EvaB pâmée sur son sofa blanc, des inconnus. Je reconnais le beau mari M. dans la cuisine, je suis entourée par les enfants d'Eva, le chien d'Eva, les livres d'Eva, je m'assieds sur le sol, à ses pieds.

Ils sont comme des toupies fatiguées par la prime alcoolémie, tout juste en train de se remettre avant la deuxième ; je glisse Tengo miedo torero sous le chien Tolstoï qui tient un canapé à lui tout seul, je m'enfonce dans le Jack Daniel's. La soirée descend par degrés dans le bruit, la moiteur, on remet Fontaine “ah que la vie est belle“, EvaB est nue sous une maille noire semi-transparente. Les Kurdes effrayés s'en vont, les turbulences se déplacent de plus en plus vite de la salle à manger vers le salon, Wiklau s'est endormi, des silhouettes chaloupent.

Je veux me lever, je me raccroche à la bibliothèque, ThéronZ me rejoint et me tend les lèvres :

EvaB veut te niquer”.

samedi 2 avril 2011

Identité ondulation


Cyclozoïdes

Celles qui disparaissent pour cause de fiancée, qui reviennent la pleurer deux semaines plus tard (marronnier), qui sont charmantes quand elles s'appellent Yyyyyy, exaspérantes rebaptisées, qui obéissent à des rythmes lunaires ou saisonniers surcompliqués par les changements d'alliances, qui ont perdu leur nom pour suspension et qui le retrouvent six mois plus tard, qui se rajoutent un 1, un 2 ou un "isback" après une suppression prématurée, qui ont fait six fois leurs adieux et qui reviennent en douce, qui s'inventent une amie venue prendre leur défense et qui finissent par garder l'identité de l'amie : on ne sait jamais vraiment qui est qui sur le forum, si l'on pensera demain encore de A352400 ce que l'on en pensait aujourd'hui.

Régulièrement, des nuages de néopseudos (ou de pseudonéos) se déversent sur le forum avec une connaissance manifeste du terrain. Qui sont-elles ? Des pseudos notoires qui pour une raison ou pour une autre ont muté, et qui viennent ruser avec leurs anciennes connaissances, poursuivre leurs ex, foutre le bordel ou se payer leurs ennemies. On les appelle plus ou moins improprement des trolls, en fait des fakes lorsque le profil fournit clairement des informations destinées à tromper sur la personne. Au fond, même si tout pseudo est un “fake” (une identité d’emprunt), il y a des degrés de variation dans l’authenticité. Des pseudos anciens, renseignés par une photo, fournissant des infos sur leur vie et parfois connus de certaines dans la vie réelle finissent par tenir lieu d’identifiant officiel (signature, marque de fabrique ou galon). Certaines ne l’abandonneraient pour rien au monde vu le prestige et la notoriété qu’il leur confère, d’autres, qui s’apprêtent à quelque basse besogne (attaquer, injurier ou dénoncer) se créent un fake destiné à maintenir leur pseudo officiel au-dessus de tout soupçon. Les multirécidivistes, les troublées de la personnalité et autres péteuses de plomb professionnelles se reconnaissent à leur changement régulier de pseudo (une manière de se refaire une virginité jusqu’au prochain dérapage). Bien évidemment, plus les fakes abondent sur le forum, plus la paranoïa envahit les esprits : une telle qui est elle-même est prise pour une autre, toute absente est soupçonnée de revenir en fake.

Mais il y a aussi les Dr Jekill and Mr Hyde, les cyclothymiques, les bipolaires, les personnalités multiples, appelez-les comme vous voudrez. Pouillette, paranoïaque et chômeuse chronique invectivant régulièrement en forum les persécutrices réelles ou supposées qui lui ont fait perdre un lointain emploi. Pour ne rien simplifier, Pouillette redevient de loin en loin une suave créature qui affiche sa photo, recueille les encouragements empressés de quelques deux ou trois bonnes âmes du forum, avant de disparaître et de revenir plus furieuse que jamais. Cas plus complexe encore, AliasX grande obsessionnelle cycloïde, qui n’intervient jamais que par séries. Une série de “plumes” étranges envoyées par longs posts dans l’air extraterrestre. Puis une série d’attaques consternantes. Puis une série de liens vers des films doux ou drôles où AliasX téléphone à des répondeurs automatiques au sommet d’un donjon, parle de ruines, de nuits. Après une nouvelle période métacapitaliste obsessionnelle, AliasX entame une période anale terrible pour toutes, sans doute inspirée par une calamiteuse gastro. Des “prouttt” horizontaux, verticaux, sériels, des blocs de proutttt compacts, des prout questions, des prout réponses étourdissent les posteuses pendant plusieurs semaines, puis plus rien. AliasX revient des semaines plus tard avec un récit de science-fiction d’une poignante désolation, presque k.dickienne, et s’interrompt de nouveau.
Elle est, dit-on, dans la vie, timide et attachante.

Mapps nous pompe

Et puis il y a Mappy, Mappix, Mapps, malade chronique qui fait acte régulièrement de la diminution de sa capacité respiratoire, compte les jours qu’il lui reste, persiste à fumer. Mapps et sa BCPSTO, la BCPSTO de Mapps, le monde vu à travers un respirateur, le dernier souffle de Mapps, les cigarettes de Mapps, les demandes d’amour et de soutien de Mapps, son protagonisme insistant, comme si elle était branchée non pas sur de l’oxygène mais sur la sollicitude et l’inquiétude qu’elle peut encore éveiller sur le forum. Mais Mapps a aussi la dent lourde (lorsque elle n'obtient pas l'amitié attendue), des façons de prêtresse gauchiste sans concessions, un art de lasser l’attention voire une certain masochisme de fond (plutôt exaspérer son monde que de passer inaperçue).
Mapps a également une compagne dotée d’un pseudo qui vient de temps en temps prendre sa défense ou raconter ses turpitudes (Mapps est partie en cure, Mapps est dans sa famille, Mapps ne veut plus vous parler). Pour ajouter à la confusion, Mapps, un beau jour suspendue par la modération du site pour des raisons obscures, revient dénoncer l’injuste sort qui lui a été fait sous le pseudo de sa compagne, 100S, qui le lui a "prêté." Et là encore, Mapps alias 100S finit par tellement pomper les veines de l’indignation solidaire qu’elle éveille des remarques de plus en plus ironiques ou irritées, s’obstine, et rejoint pas à pas le petit socle rouge mélodrame où elle n’a de cesse de vouloir s’installer, son coussin, sa chaufferette à elle : LE PILORI.

Peu de temps après avoir recréé un nouveau pseudo (toujours en “Map”, racine de son être-là), Mapps disparaît. Dans un timing dramaturgique parfait, sa compagne vient nous informer quelques jours plus tard que Mapps a été hospitalisée en urgence suite à une grave rechute. Mapps est branchée sur un respirateur, le lieu et le service sont nommés ; pendant tout le temps de son absence c’est 100S qui rend compte en forum de sa lutte contre l’asphyxie. Avec une unanimité touchante les voix les plus compatissantes du forum y vont de leurs messages d’encouragement et de soutien. Tiens bon Mapps, courage, Mapps, tu le peux, Mapps. 100S tient avec dignité son rôle de compagne dévouée, au bord du gouffre, tout juste revenue de ses soirées de veille pour poster sur GD l’info médicale du jour. Le silence de Mapps est devenu énorme. Pendant quelques jours, je suis, nous suivons, directement reliées à son respirateur, la lutte de Mapps contre la mort.

Les messages de sympathie se multiplient en ligne, avec cette manière si gouine, si tendrement garce d'être à la fois totalement tueuse et sentimentale. Après trois semaines de suspense, on apprend que Mapps a été transférée de l’hôpital vers une maison de repos spécialisée du sud-ouest où elle tente de se remettre. Les voix compatissantes suivent la larme au cœur le trajet haletant de Mapps, tandis que des voix plus acerbes commencent à s’élever. Une lame de colère, un vent froid et bleuâtre se lève sur le topic de la survie de Mapps, sur le compte-rendu grêle et chancelant de 100S. Deux ou trois pseudos surgis de nulle part se lâchent : encore malade et semper schizophrène, Mapps ? Toujours pas morte, Mapps ? Toujours mourante et toujours là, Mapps ? Un frisson antarctique parcourt le forum : les voix compatissantes s’élèvent contre la barbarie des commentaires, d’autres quittent sans un mot le topic, les parages sombres de la transgression, violence magique et chaos féminin, toujours garés à quelques centimètres du prochain post, se déploient sur GD. “Crève, Mapps, stp”, “Fais-nous l’honneur de crever aujourd’hui et de nous laisser en paix...” 
 
De longs silences suivent les cris et le topic finit toujours pas revenir : réactions indignées, remerciements calmes et imperturbables de 100S... Je lis, je m’interroge ; Mapps mange et tente de revenir à la vie en pays catalan ; je ne comprends rien, je n’ai rien vu venir.
Prises à parti, les bacchantes de la mise à mort de Mapps divulguent peu à peu leurs raisons : la schizo BCPSTO, la mapscompagne du mapsupecirque... Tout le monde décrypte peu à peu l’information des bacchantes : je n’y crois pas, je n’ose pas y croire. Au moment où, selon 100S, Mapps est autorisée à rentrer chez elle après avoir promis de ne jamais refumer, tandis que sa compagne rêve de chandelles et de nuits d’amour, la vérité éclate. Ou disons une sorte de vérité délirante et indécidable, comme seul un jury de carnaval en établirait lors d’un procès délocalisé sur Mars, naviguant à vue d’une info de seconde main fournie par une ex de première main qui a connu l’amie de l’amie de celle qui se fout de notre gueule.

Selon les pseudos ulcérés, Mapps est une schizophrène qui mute depuis 3 ans sur le forum. Elle est morte deux fois, n’a pas de compagne connue, s’est inventé une maladie respiratoire depuis un an. Elle écrit sous le pseudo de 100S, sa supposée compagne, la lutte désespérée de Mapps contre l’asphyxie, la santé bourgeoise, la mort banale et solitaire des fantômes gris de la longévité.
Quelques semaines encore, et malgré ces ultimes révélations qui ont fait disparaître 100S, Mapps revient en personne de sa maison de santé remercier celles qui l’ont soutenue et mépriser hautement les autres.
Le topic attentatoire a été effacé, par on ne sait qui sur on ne sait quelle demande. Mapps a repris la cigarette dans une volée d’objurgations ferventes puis disparu, 100S n’est plus.
J’attends le flamboyant chapitre de la mort de Mapps... 

Ici tout peut se passer, mais rien ne se passe ici.