lundi 18 avril 2011

Qu'une cascade d'objets bafoués


C'est une soirée “tranquille” chez moi, en plein février, on est 6 ou 7 au plus, avec un gentil repas et de grandes serviettes colorées, cette nuit-là les standards de la soirée tranquille entre ami(e)s vont exploser.

À 6 heures du matin je fais le tour des trois pièces, réveillée par le pulsar "Four Roses" qui n'en finit pas d'émettre dans ma tête. Deux dans la bibliothèque, un qui a jeté un matelas dans l'embrasure de la porte, un autre nu dans la chambre accroché au drap de la couette dont s'est emparée une autre sur le canapé du salon, moi qui cherche le hamac pour me recouvrir. Des corps épars comme frappés d'électrocution, un chaos indicible de verres, d'assiettes, de sapes, de cendriers et d'étagères effondrées sur l'Imac vaincu : je me demande ce que c'est que cette explosion, comment en une seule nuit nous avons généré tant d'énergie sismique.

Je me recouche avec une serviette supernova sur le front, EvaB me tend la main.
Personne ne ronfle, un silence exaucé flotte sur les corps anéantis. Ce n'est pas le pulsar qui m'a réveillée, c'est autre chose, une odeur oubliée depuis longtemps, une odeur que mon corps a désappris à synthétiser : le foutre mâle.

Elle ne vient pas de la pièce, elle ne vient pas de lui, elle vient de moi.

Quand il a chanté pour la première fois dans les hauts de St-Julien je l'ai trouvé beau. Il avait le tour des yeux oriental, des yeux cernés de bistre comme dans ma famille grecque, et ce ne pouvait être, pour vivre avec cette femme, qu'un homme d'une finesse exceptionnelle, cet homme qui nous montrait ses govend turques avec une joie d'enfant.

Je la prenais, elle, pour une maîtresse femme, nitromatrone, demi-soeur Papin et Lol. Valérie Stein à la fois, en fait une femme battue qui avait servi pendant des années de sac à foutre à des hommes, leur avait préparé des tomates farcies, élevé des enfants, donné des approximations de plaisir.
Quand elle arriva avec sa révolte écrite, sa prostitution écrite, son sexe écrit, petit diamant de mort courant déchaussé sur une route perdue, c'était une enfant brillante qui avait refait tout le chemin du désastre à l'envers. Avec des livres magnifiques et vérolés.

En les voyant venir je pense : pourquoi pas seule ? Comme toujours, avec les hétéros, ce moment où il conviendra de se demander quoi faire du mari, savoir où on le met, à quelle place il va se faire connaître.
En pensant à M. je le vois comme un homme possible. Oui mais seul. Attaché sur une plage au printemps, docile. Je le lui dis, il rit. Il n'aime pas trop, attaché. Et puis de toutes façons on est en hiver (ça c'est moi qui le dis avec un silence abrasif).
Il s'est levé, se penche à la fenêtre.

EvaB se tourne vers moi, m'attrape par le menton. Il dit “je pars”, elle : "non, reste".
Et c'est parti. Son scénario, je le connais. Je l'ai rencontré partout dans le monde. Je sais que je vais la trouver exaspérante et redoutable. Elle et son mec. Qu'il faut tout prendre, ses mecs, son chien, sa chute. Qu'elle voudra s'évader par le coffre hétéro-arrière, qu'on s'empile tous là-dedans et qu'on parte à 130 à l'heure dans le mur en chantant “ah que la vie est belle”. C'est une compilarde, une soiffarde à sec, toutes les séquences il faudra les refaire pour se retrouver franches et nues au début de l'histoire. “Tu me paies ?”, “Va te faire, il te plaît”, “Et alors ?” Les hétéros, il faut tout leur dire, qu'une gouine ne doit rien à personne, ne partage pas une femme avec un homme, a depuis longtemps apuré ses dettes. Elle n'entend plus, je m'encolère, je quitte son corps plaignant. Vais vers M.

La taille de son sexe je l'évalue depuis le début. Je sais qu'il a flairé un con nouveau, que sa queue ne pense plus qu'aux moyens d'emprunter la voie expresse, se superfiche de partager quoi que ce soit. Avec qui que ce soit. 
Ses mains me déshabillent, je lâche tous les autres derrière nous, je m'oublie, je les oublie, je suis un missile sexuel mandaté par l'Onu pour mettre tout le monde d'accord. Je prends son sexe entre mes cuisses, pour l'instant c'est lui qui est coincé par le mur et je bouge comme je veux. J'offre mon dos, j'offre mes fesses nues à EvaB, je sais qu'elle ne va pas bouger. Je la condamne à compiler. Je sens les mains de ThéronZ passer sur le sexe de M. Un tout petit quelque chose se dépense au creux de l'abîme entre moi et M. Puis puis plus rien. Un rien profond et bleuté. Une colère démaillotée. 
Ses hanches, ses cuisses, ses fesses, ses épaules, ses aisselles, ses reins, sa chevelure ou rien, rien d'elle qu'une cascade d'objets bafoués.

J'ai pris le mari d'Eva sous le regard d'Eva. Je veux dire je l'ai pris en moi, bien profond.
Je suis revenue vers elle par la vallée du Jourdain et je lui ai annoncé que son homme était mort. Trois fois.
Le jour se levait sur le jardin d'Éden et nous avons fermé les volets.



Nous étions franches et nues.         Mais l'histoire n'a pas commencé.           Le grotesque déclinait les branles pâles d'une orgie sans joie, des éclairs, des esquisses d'étreintes qui ne trouvaient personne et qui avaient titubé dans le néant. Tout avait déjà sombré dans la catalepsie du whisky.                    Un peu avant l'aube, Marilyn arpente son antre rouge. Les corps épars sont électrocutés. C'est un silence exaucé qui flotte sur les cadavres purulents d'un foutre unique, le chaos des verres, les nippes, les cendriers et les étagères effondrées sur l'Imac. Elle a mal à la tête. Elle ne sait plus ce qu'elle fait là, ce qu'ils font tous là.                     Un peu plus tôt pourtant, Marilyn se détache sur le fond pourpre dans l'éclat violent d'un spot blanc. Seule, elle émerge du chaos, son corps blanc est splendide, magnifiquement éclairé par la droite. Le casque de ses cheveux ressemble à celui d'une poupée, curieusement épinglée sur les lèvres d'un homme. Elle est debout, nue et seule devant le mur. Il y a peut-être un homme qu'elle tente de tuer mais on ne le voit pas, il est caché par la chute de reins d'un mannequin raide et suspendu aux lèvres invisibles.   Personne ne l'a déshabillée.   Elle est magiquement nue. La scène est aveuglante, elle éblouit mes yeux saouls.          Mais le tableau se fissure, Marilyn est retournée, les corps ont trébuché vers l'avant, elle titube sur ses jambes écartées, ses seins pendent. Je n'ai pas bougé. Je ne veux pas voir que Marilyn est un sac à foutre. Je vois juste l'oscillation du plaisir dans l'abîme entre le con de Marilyn et le membre d'un anonyme.

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