vendredi 15 avril 2011

Aime ou meurs : publicité à des besoins qui n'ont pas reçu de réponse



Le seul problème, avec
  “l’ennemi” étant : qu'il peut très
          bien se passer de jouissance...


3ème stuka : B11 

Elle tournoyait au-dessus d'“Entre filles“ depuis quelques temps déjà, à deux, cette figure se répétant, comme si le forum était le terrain de largage idéal pour les couples qui ne se trouvent pas.
Elle m'a repérée, s'est intéressée semble-t-il, malgré l'antipathie pour moi de son acolyte. Au moment où je lance un sujet sur Cannes, elle descend en piqué sur le forum.

Pourquoi ? 
Je parle de tout, avec une sorte d'impudence tout-terrain, mais là je viens de m'engager sur le sien. Elle va me rabattre mon caquet comme on l'y incite, me montrer ce qu'il en coûte de parler ciné en présence d'un spé.
J'aurais toujours dû me souvenir de cet élan originaire, je l'ai fait d'ailleurs, tout en me gardant bien d'agir en conséquence. Que penser de quelqu'un qui s'élance vers toi mu(e) par un élan correctif ? Que tu vas voir ce que tu vas voir...
Et j'ai vu.
Décembre 2011. B11 a disparu de ma vie dans un nuage de fumée. Rentrée dans son antre à films, ses clopes à films, ses règlements de compte intercinéphiliques. Je reprends avec TectiS la conversation interrompue par B11.

Ça va durer 3, peut-être 4 semaines. Elle a quitté son pseudo officiel. Tous les jours elle poste un pavé de haine. Au début c'est ténu, c'est sa rage, sa douleur à elle, qui la regarde au fond. Puis l'exutoire se change en combat. Les initiales de TectiS apparaissent, les miennes : c'est parti, on va voir ce qu'on va voir.
B11 adore le monologue, c'est sa spécialité en live comme à l'écrit, en revue, au téléphone, à la plage, elle peut transformer la totalité du moment, du vivant ou du paysage en monologisme ; la tabagie et le monologue fondent son écosystème, irrespirable pour les autres.
Jour après jour elle ratisse les détails, ses moments passés avec T., ses moments passés avec moi, jour après jour mijote et triture le vécu, en extrait peu à peu tout ce qui peut servir à l'acte d'accusation dressé au nom de l'outrage qui lui a été fait : ne pas avoir été aimée.

Tu ne mouillais pas le jour où je t'ai ? si si, tu mouillais, je l'ai mesuré avec le doigt, aaaaarh, tyranne, ogrure, tyrannie du non non je t'ai pas violée ! C'est-y pas toi qui es venue me chercher moi qui ? moi qui qui ? qui t'ai fait écouter mes disques ? Trahison, aaaarh ! Le pouvoir tyrannique des femmes passives ! (smoking) Trahison ! Oui oui tu m'as godée une fois et chevauché les fesses 1,57 fois de gauche à droite et longitudinalement mais passive, à 16 heures 30 et 50, disloyauté, (smoking), l'autre salope qui a fraudé le rsa, à mort ! Aaarhh, toutes mes noblesses et vos saletés ! Tu n'étais plus avec moi en août, en septembre, en octobre ? Mensonge ! Trahison ! Manipulation ! (smoking hard) Lui péter la gueule à l'autre cette clown fausse amie, ton amie aussi ? Aaarrh, à moi ! Mon amie félonnie ! Toutes nos amies pas touche, (smokin' & smokin') toi pas toucher nos amies, moi pas toucher aux amies des amies des ex qui se rencontrent toutes sur gd ! Interdit de vous toucher sur gd ! Grrr ! Les chocottes de l'alien quand on n'accueille pas l'Autre-en-soi ! Bouuuuh ! Moi qui t'ai défendue, moi qui l'ai, dans MA maison, chez MA mère, oh let me smoke, yeaaarh, rock'n roll attitude, (smokinblack), à MA table dans MA maison de MA mère, oser t'approcher de MA LN qu'elle est À MOI et seulement à MOI ! Lui avais dit que je me séparais en septembre, me désépare en septembre, orduuuuuure amie, aaaarh, punk is dead, leur cracher à la gueule à toutes, murderers ! Au crime! À moi ! Ça recommence ! Ma reine à moi ! Fuck them all !

Je repense aux si belles pages de Proust sur le désespoir de ne pas être aimé, à Dustan pleurant dans Nicolas Pages son propre “je t'aime, tu me jettes”. Elle s'en empare pour le mettre dans son camp, sans comprendre que la différence entre l'auto-fiction et le reste est précisément ce passage des "gens" à soi, de la vérité si facile à détenir sur “les autres” à la si difficile expérience de soi. “L'auto-fiction, c'est se mettre sur une place publique, s'arroser d'essence et attendre la flamme” (dit le lynché, et non le lyncheur).  

20ème jour, 21ème jour, 22ème jour. 
Le forum est un formidable frigidaire à ressentiment. Dans la vie les gens restent ou s'éloignent, le dialogue est maintenu sur un contrat minimal ou rompu. Personne ne passe des jours et des nuits à t'insulter avec ton consentement. Sur le forum une histoire d'un mois revient secouer les meubles pendant des années : non-lieu hanté d'histoires avortées, d'histoires mortes-nées qui ne peuvent plus quitter le territoire des vivants. Parce qu'il n'y a plus personne en face pour faire un geste ou pousser un cri, pour dire arrête, je m'en vais.

Ça ne se calme pas : je suis allongée nue en place publique,  grattée, fouillée au bistouri. Toutes les initiées ont compris, ça ne court pas vers le silence mais vers le hurlement. Le 25ème je tente de l'arrêter : elle part en vrille. S'empare de mon profil dont elle connaît les clés, change les serrures, revient poster, injurie sous mon nom, débloque à fond. Malheur ou chance, un troll justicier venu aouter les cibles semi-anonymes du topic provoque enfin la réaction du webmaster. Retrait des "sujets", suppression des profils. Silence de cendre. 

Mon pseudo est mort, détruit par B ou par le site peu importe, Listenoire n'est plus. Je me penche à la fenêtre, diastole, systole : quel calme ce matin. Il pourrait presque neiger mais ce n'est pas la peine. Les sons remontent avec la même longueur étouffée : ce bruit vague qui s'endort, c'est la vague sur le bord.
C'est la plainte presque éteinte d'une sainte pour un mort.

Cinq mois plus tard, au printemps revenu, je flaire un troll acerbe.
Elle est revenue. 
Égale à elle-même, porteuse d'une haine intacte. Juste un peu repeignée et remaquillée ce qu'il faut pour se faire un air moraliste.

Il n'y a ni sainte ni morte, il n'y a que l'interminable fracas au vent des gréements qui n'ont pas pris la mer.

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