jeudi 8 mars 2012

Leïla San Juan, de la Calade -spécial 8 mars remix


Nue dans la salle de bain au 12ème étage du T3, elle repasse un nuage de blush rose sur la ligne des pommettes et détache ses cheveux d'étudiante. Bonne combi avec le gloss à lèvres prune. Les ongles noirs pour la main gauche, rien sur les autres, elle choisit la veste léopard en polyester-viscose-élasthanne (5 euros au marché du Soleil) et le legging laqué. Elle a aussi le sac Guess 100% pétasse et les sandales Castaner dorées (moitié prix à la boutique La Guardia) mais elle se la joue souvent versaillaise en mode commando : des Jourdan vernis noirs à talon rouge qui ont une tendance à rayer les carrosseries, surtout de flics.

Elle sort toujours la peur au ventre, rien sous la veste, une lacrymo dans le sac, mais c'est à cause de ça qu'elle sort. Elle va passer le premier cordon d'insécurité, les lascars de la dalle d'en bas qui ont renoncé à lui mettre son petit frère sur le dos mais pas à la baiser (y'aurait pas moyen de moyenner ?), puis le second entre Cap Janet et Mourépiane, en fait un danger nomade qui se déplace avec elle. Patrouilles de la BAC, fourgons de police rasant le trottoir au cas où elle n'aurait pas ses papiers (l'invite plongeant sur le décolleté : tu montes ? on te ramène ?)

À cinq ou six heures, quand les parents sont encore à la maison, elle branche sur la toile ou par sms. Après, quand ils s'en vont tous ensemble à la Ciotat chez Malika, elle a le champ libre. Elle en a marre de la Ciotat. Les parents ont bien compris qu'elle était douée, elle peut réussir Sciences Po sans remise à niveau, inch'allah, pas besoin de leur prépa spécial pauvres : ils la laissent travailler seule tout le week-end. Elle a l'ordi et la connexion pour elle, ch'allah la politique, elle fréquente les anciens communistes de l'Estaque et même les autres, du PS, ceux qui sont venus la chercher l'an dernier pour leur liste.

Ce soir elle a un rendez-vous chemin du littoral. Un truc sans danger, qu'elle connaît, elle s'est fait tatouer un scorpion sur l'omoplate gauche pour apprendre à vivre avec ce qui lui fait peur. Elle va se faire 50 euros à Mourépiane, doubler la mise peut-être à l'Estaque. Après, elle a le fric en main pour s'offrir le centre et même payer des coups, rentrer à l'aube avec le bus où dormir dans une chambre pleine d'odeurs douces et inconnues qui ne font pas peur.

Elle porte ses peintures de guerre pour ça. Quand elle n'a pas une thune elle s'offre un maquillage gratuit à Séphora, dédaigneuse et nonchalante ce qu'il faut pour ne pas se faire choper par le vigile. C'est fondamental la peinture de guerre, la peinture de guerre sociale qui s'apprend à l'école et dans les pubs Guerlain. Elle a le code et le cerveau qu'il faut pour être admise comme beure rentable, une beurette laïque, sexy, intelligente et malléable. Qui donne envie de s'impliquer, de raquer, de sourire.

Elle pousse la porte du Gabian. Nano est là, déjà inquiet. Elle repère deux “amis” qui se sont fait bien propres autour du billard. Ça va aller très vite. Il suffit de leur dire qu'ils ont une belle bite, ils jouissent en deux minutes. Elle écrase une clope. Je ne dois rien à ces connards du PS. Leïla El Haram ne porte pas le hidjab, elle est de ces familles douces et craintives qui offrent des gâteaux aux profs après l'aïd Al-Fitr pour montrer qu'ils ne sont pas des terroristes. Mais elle porte quand même un bonnet en hiver, un turban en été, pour des raisons de résistance intime qui la regardent.

C'est un bon soir ce soir, il n'est même pas dix heures et elle a de quoi s'offrir un taxi. Il y a soirée Baby Doll au Warm Up. Elle va refaire ses peintures au Caruso, rigoler un coup avec les mouettes, passer la frontière du Tout est Permis avec un petit tampon de guerre au poignet. La commotion sur le dance floor, c'est QUI rentrera avec Leïla ce soir. Une femme âgée bien souvent -elle en pince pour les psychiatres et les journalistes ; c'est la cagole déceptive par excellence, pseudopétasse et gérontophile rouge-gloss préfigurant un nouvelle ère amazonienne : superculottée et surmaquillée dehors, dure comme le fer à l'intérieur.

Je l'avais “pêchée” un jour sur GD, aimantée par le clignotement de son étrange pseudo métis. Elle venait de suivre trois semaines d'empoignades pseudo-féministes au sujet de l'émancipation par la force des indigènes de la République, ces victimes de nos propres terreurs censées demander à grands cris la “protection des lois” contre leurs frères, leurs pères et leurs grands-mères. Elles sont folles, cousine.

C'est la plus belle gouine de Marseille.
Elle vient de réussir Sciences Po Paris.

jeudi 1 mars 2012

Ton topic sur Dustan m'a fait womir - remix

J'ai souvent repensé à Dustan. Ses livres disparus des rayons, sa morgue d’oursonne tendre et pensive, ses titres en forme de compte-à-rebours. Je contemple la plaie noire de sa disparition d'enfant prodige : si j'ai une fille, G.D., fais-nous l'honneur de revivre chez nous.

C’est une des plus belles pages de Beatriz Preciado dans Testo Junkie qui réveille ce souvenir. “Ta mort”. “Tu as pourri pendant deux jours dans la position même où tu es tombé. C’est mieux comme ça. Personne n’est venu te déranger. On t’a laissé seul avec ton corps, le temps qu’il fallait pour abandonner toute cette misère dans le calme. Je pleure avec Tim. Ce n’est pas possible.

Je poste “William B. pour mémoire”, presque sur la pointe des pieds, tant je crains de voir resurgir l'image-repoussoir : barebacker. Juste un peu de William B. corps perdu, et de Guillaume D., écrivain. En pure perte. À chaque fois qu’on parle de Dustan avec des pédés c'est toujours la même chose. L'épouvantail médiatique, la bête noire d’Act Up, celui qui s’est fait plomber deux fois, par le virus et par le milieu, afin de mieux resserrer les rangs d’une néogay communauté chic, safe et électoralement présentable.

Quand on me demande ce qu’il a apporté littérairement je pense à son geste inaugural. Dustan est venu dire “je sors ce soir”. Tout ce qu’il fallait pour sortir un pédé de sa chambre, apprendre à s’habiller, danser, faire l’amour, cuisiner ou expérimenter des états sensoriels d’une manière qui restait à inventer, il l’a inventé. En vivant, en écrivant. Et comme il ne savait pas encore QUOI au moment où il sortait de sa chambre -et se mettait à l’écrire avec un léger différé temporel qui est l’un des temps les plus courts de la maturation littéraire, Dustan a découvert une sorte d’énonciation : un perpétuel présent courant sur l’instant, sans jamais l’enfermer, un existentialisme animal.

Je ne l’ai jamais rencontré, je l’ai lu pendant deux ou trois ans à Buenos Aires où j’allais deviner et reconnaître l’un de ses amants du Chili qui travaillait à Santiago, et j’ai toujours ressenti pour lui une amitié, une tendresse confiante que je n’avais pour personne de connu.

Une sensation qui débordait, ou déplaçait largement le champ habituel du littéraire : je l’aimais. Marcelo a laissé son sang noir dans un de mes lits et une édition grand format de Nicolas Pagès où Dustan lui avait écrit une sorte d'adieu, à la main. “Je ne le vois plus. Il est parti dans l'héroïne.”

Dustan était un manifeste au quotidien, avec une égale confiance il citait le journal d’une vieille tante, une chanson, un boum boum de dance floor plus fort que les voix, parce qu’il croyait en toutes ces aptitudes à se vivre et à s’inventer, je gobe, je gobe un œuf, un ecsta, une queue, un trajet jusqu’au Monoprix du coin ou jusqu’à la tireuse. Il était “Saint-Sade” comme a dit Causse, il a tout pris en lui : le monde, les queues, la pisse, la pharmacochimie, les capotes qui explosent, sa responsabilité et celle du contamineur. Il a tout pris et il n’en a fait ni un temps perdu ni un temps retrouvé, il en a faitGuillaume devient pédé. Est-ce qu'on savait seulement ce que c'est être pédé ? Passer à Act up, prendre un verre au Duplex, se faire sauter au Quetzal ?

G.D. a totalement cru en la contre-culture. Quand il disait de toutes les minorités les homosexuel-les sont les seul-es à être né-es en terre étrangère, il n’était pas loin d’un État transpédégouine. La Révolution culturelle on l'avait, avec Dustan à l'éducnat, Despentes aux affaires sociales, Angot à la justice*. On se serait amusé au moins, le temps d’une nuit... Et pas de ministre de l’Intérieur : seulement je sors ce soir. La question se serait sans doute posée de savoir si on pouvait faire travailler des transpédésgouines et comment. Mais la question se pose-t-elle ? est-ce qu’on a besoin de travailler quand on ne fait pas d’enfants ? Est-ce que vous vous êtes jamais posé la question de ce qu’il en est d'être simplement soi et de n'avoir rien d'autre devant, une-vie-une-mort-point-final ? Ce que ça changerait de vivre sans bâtisseurs d’avenir, sans nucléaire, sans Institut de Catastrophe, avec des gens qui se débrouilleraient simplement comme ils peuvent de leur catastrophe à eux.

Quand je repense à Dustan je pense à ceux qui en sont morts. On peut dire que ça fait de sacrés personnages et que lorsque par chance ils en sortaient vivants ils en sortaient grandis. Des féroces, des furies de douceur. Éric, Pedro L., Virginie D., les folles de Pinochet, Lydia Lunch... Le seul problème aurait été d’être orphelins, doublement orphelins de nos parents qui ne sont pas les nôtres (qui se demanderont jusqu’à la fin des temps ce qu’ils ont fait pour nous enfanter), et de ceux qui auraient pu l’être s’ils n’étaient morts avant de nous avoir reconnus, et enfantés... Michel Foucault, Jean-Marie Koltès, Copi, Guy Hocquenghem, Jean-Luc Lagarce, Rudolf Noureev, Jorge Donne, Klaus Nomi, Hervé Guibert, Anthony Perkins, Rock Hudson, Freddie Mercury, Keith Haring, Armando Llamas, Robert Mapplethorpe et finalement... Guillaume Dustan.

Imaginer un tout petit État minoritaire sabré dans sa jeunesse par la névrose, la drogue et le suicide (quand ce n’est pas le bistouri), privé de ses plus illustres inventeurs et orateurs... cela s’appelle “Bavardages”, femme Narsès. Un petit salon mort-né où l’on enterre pour la troisième fois G.D. avec des cris de gazelle graciée.

In memoriam G.D. (comme "Gaidrome") me vaudra une sorte d’exclusion froide et polie de “Bavardages” (concrètement “tu postes, mais on fait comme si tu n’avais rien dit”), la rancune acide d’IlbariX (pédé social-misogyne non dépourvu de talents qui a mené de retentissantes attaques contre certaines harpies d’”Entre filles”), et plus tard encore le hoquet d’une néo-ennemie (without a cause) de chez Lesbos qui proclame publiquement avoir vomi à la lecture de mon topic : “MazDa”.

Pourtant une voix descend encore des ceintres : seul contrepoint ex machina, le pavé incendiaire d’un nommé Syntholgel qui tombe avec une fureur indignée sur les “tapettes intégrationnistes” du Marais, prêtes à renier tout ce qu’il faut pour accommoder leur cul dans les beaux quartiers. Cris, accusations d’homophobie ; je le reverrai très peu sur “Bavardages” et systématiquement ignoré : G.D. nous a tuer, je reflue du côté d’Entre filles.

boumboumboumboumboumboumboum boumboumboumboumboumboumboumboum boum

Parfois, certains soirs, quand le ciel est lourd, froid ou triste et que les corps se sont à peine réchauffés avant de venir s’asseoir devant le clavier, on sent monter cette envie des esprits exaspérés de poster : le forum est plein, douloureux d’une envie de tuer.

Envie de mourir dans la matrix crétinomachiste, de nous entretuer entre nous.

* J'ai barré Angot pour cause de trahison. Le ministère de la justice reste donc vacant.