jeudi 1 mars 2012

Ton topic sur Dustan m'a fait womir - remix

J'ai souvent repensé à Dustan. Ses livres disparus des rayons, sa morgue d’oursonne tendre et pensive, ses titres en forme de compte-à-rebours. Je contemple la plaie noire de sa disparition d'enfant prodige : si j'ai une fille, G.D., fais-nous l'honneur de revivre chez nous.

C’est une des plus belles pages de Beatriz Preciado dans Testo Junkie qui réveille ce souvenir. “Ta mort”. “Tu as pourri pendant deux jours dans la position même où tu es tombé. C’est mieux comme ça. Personne n’est venu te déranger. On t’a laissé seul avec ton corps, le temps qu’il fallait pour abandonner toute cette misère dans le calme. Je pleure avec Tim. Ce n’est pas possible.

Je poste “William B. pour mémoire”, presque sur la pointe des pieds, tant je crains de voir resurgir l'image-repoussoir : barebacker. Juste un peu de William B. corps perdu, et de Guillaume D., écrivain. En pure perte. À chaque fois qu’on parle de Dustan avec des pédés c'est toujours la même chose. L'épouvantail médiatique, la bête noire d’Act Up, celui qui s’est fait plomber deux fois, par le virus et par le milieu, afin de mieux resserrer les rangs d’une néogay communauté chic, safe et électoralement présentable.

Quand on me demande ce qu’il a apporté littérairement je pense à son geste inaugural. Dustan est venu dire “je sors ce soir”. Tout ce qu’il fallait pour sortir un pédé de sa chambre, apprendre à s’habiller, danser, faire l’amour, cuisiner ou expérimenter des états sensoriels d’une manière qui restait à inventer, il l’a inventé. En vivant, en écrivant. Et comme il ne savait pas encore QUOI au moment où il sortait de sa chambre -et se mettait à l’écrire avec un léger différé temporel qui est l’un des temps les plus courts de la maturation littéraire, Dustan a découvert une sorte d’énonciation : un perpétuel présent courant sur l’instant, sans jamais l’enfermer, un existentialisme animal.

Je ne l’ai jamais rencontré, je l’ai lu pendant deux ou trois ans à Buenos Aires où j’allais deviner et reconnaître l’un de ses amants du Chili qui travaillait à Santiago, et j’ai toujours ressenti pour lui une amitié, une tendresse confiante que je n’avais pour personne de connu.

Une sensation qui débordait, ou déplaçait largement le champ habituel du littéraire : je l’aimais. Marcelo a laissé son sang noir dans un de mes lits et une édition grand format de Nicolas Pagès où Dustan lui avait écrit une sorte d'adieu, à la main. “Je ne le vois plus. Il est parti dans l'héroïne.”

Dustan était un manifeste au quotidien, avec une égale confiance il citait le journal d’une vieille tante, une chanson, un boum boum de dance floor plus fort que les voix, parce qu’il croyait en toutes ces aptitudes à se vivre et à s’inventer, je gobe, je gobe un œuf, un ecsta, une queue, un trajet jusqu’au Monoprix du coin ou jusqu’à la tireuse. Il était “Saint-Sade” comme a dit Causse, il a tout pris en lui : le monde, les queues, la pisse, la pharmacochimie, les capotes qui explosent, sa responsabilité et celle du contamineur. Il a tout pris et il n’en a fait ni un temps perdu ni un temps retrouvé, il en a faitGuillaume devient pédé. Est-ce qu'on savait seulement ce que c'est être pédé ? Passer à Act up, prendre un verre au Duplex, se faire sauter au Quetzal ?

G.D. a totalement cru en la contre-culture. Quand il disait de toutes les minorités les homosexuel-les sont les seul-es à être né-es en terre étrangère, il n’était pas loin d’un État transpédégouine. La Révolution culturelle on l'avait, avec Dustan à l'éducnat, Despentes aux affaires sociales, Angot à la justice*. On se serait amusé au moins, le temps d’une nuit... Et pas de ministre de l’Intérieur : seulement je sors ce soir. La question se serait sans doute posée de savoir si on pouvait faire travailler des transpédésgouines et comment. Mais la question se pose-t-elle ? est-ce qu’on a besoin de travailler quand on ne fait pas d’enfants ? Est-ce que vous vous êtes jamais posé la question de ce qu’il en est d'être simplement soi et de n'avoir rien d'autre devant, une-vie-une-mort-point-final ? Ce que ça changerait de vivre sans bâtisseurs d’avenir, sans nucléaire, sans Institut de Catastrophe, avec des gens qui se débrouilleraient simplement comme ils peuvent de leur catastrophe à eux.

Quand je repense à Dustan je pense à ceux qui en sont morts. On peut dire que ça fait de sacrés personnages et que lorsque par chance ils en sortaient vivants ils en sortaient grandis. Des féroces, des furies de douceur. Éric, Pedro L., Virginie D., les folles de Pinochet, Lydia Lunch... Le seul problème aurait été d’être orphelins, doublement orphelins de nos parents qui ne sont pas les nôtres (qui se demanderont jusqu’à la fin des temps ce qu’ils ont fait pour nous enfanter), et de ceux qui auraient pu l’être s’ils n’étaient morts avant de nous avoir reconnus, et enfantés... Michel Foucault, Jean-Marie Koltès, Copi, Guy Hocquenghem, Jean-Luc Lagarce, Rudolf Noureev, Jorge Donne, Klaus Nomi, Hervé Guibert, Anthony Perkins, Rock Hudson, Freddie Mercury, Keith Haring, Armando Llamas, Robert Mapplethorpe et finalement... Guillaume Dustan.

Imaginer un tout petit État minoritaire sabré dans sa jeunesse par la névrose, la drogue et le suicide (quand ce n’est pas le bistouri), privé de ses plus illustres inventeurs et orateurs... cela s’appelle “Bavardages”, femme Narsès. Un petit salon mort-né où l’on enterre pour la troisième fois G.D. avec des cris de gazelle graciée.

In memoriam G.D. (comme "Gaidrome") me vaudra une sorte d’exclusion froide et polie de “Bavardages” (concrètement “tu postes, mais on fait comme si tu n’avais rien dit”), la rancune acide d’IlbariX (pédé social-misogyne non dépourvu de talents qui a mené de retentissantes attaques contre certaines harpies d’”Entre filles”), et plus tard encore le hoquet d’une néo-ennemie (without a cause) de chez Lesbos qui proclame publiquement avoir vomi à la lecture de mon topic : “MazDa”.

Pourtant une voix descend encore des ceintres : seul contrepoint ex machina, le pavé incendiaire d’un nommé Syntholgel qui tombe avec une fureur indignée sur les “tapettes intégrationnistes” du Marais, prêtes à renier tout ce qu’il faut pour accommoder leur cul dans les beaux quartiers. Cris, accusations d’homophobie ; je le reverrai très peu sur “Bavardages” et systématiquement ignoré : G.D. nous a tuer, je reflue du côté d’Entre filles.

boumboumboumboumboumboumboum boumboumboumboumboumboumboumboum boum

Parfois, certains soirs, quand le ciel est lourd, froid ou triste et que les corps se sont à peine réchauffés avant de venir s’asseoir devant le clavier, on sent monter cette envie des esprits exaspérés de poster : le forum est plein, douloureux d’une envie de tuer.

Envie de mourir dans la matrix crétinomachiste, de nous entretuer entre nous.

* J'ai barré Angot pour cause de trahison. Le ministère de la justice reste donc vacant.

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