C'est en quittant le forum "filles" qu'il m'est venu, précisément, l'idée de le raconter. Ni du dehors, ni du dedans.
Car ce qui est sûr, c’est que je ne peux pas le raconter au passé (il est encore présent dans ma vie), je ne crois pas au passé simple (qui n’existe pas), je ne peux pas m’exclure de mes sœurs injurieuses, de mes sœurs félonnes, de mes sœurs assoiffées de sang et d’amour, de mes sœurs lesbiennes de droite ou de gauche, totalitaires ou sottes, invasives, alcooliques, mythomanes, nymphomanes, ignorantes, puritaines, dégoûtantes ou irrésistibles, ni pour écrire ni même pour vivre.
Parce que je les revendique miennes, parce que j’ai besoin d’elles, non comme des papillons que j’épinglerais à la sortie du cirque mais comme le courant le plus scandaleux du vivant quand ils s’invite dans une femme.
Parce que dans leur existence à la marge je me reconnais, dans nos croissances en terre étrangère, dans notre tout à réinventer, dans la quantité de solitude que nous accomplissons au cours de notre sabotage, je me revendique et me reconnais.
Le forum et le forum seul m’a redonné goût à l’écriture et à la vie dont il me privait, à ce "Vieux-Port" qui se moque du forum, à l’eau froide, aux crêtes des montagnes et aux articles de journaux, à toutes ces choses qui perdraient leur propriété pour moi sans le forum parce qu’elles sont faites pour les autres, habitées par les autres, : les non-lesbiennes, les hommes, les femmes, les mères, les épouses, leurs enfants, tout ceux qui n’ont pas besoin du forum pour exister et que je salue bien...
Guillaume Dustan disait que de toutes les minorités, les homosexuel-les sont les seul-es à être né-es en terre étrangère. S’il peut être perçu comme un étranger dans son propre pays (d’adoption), un jeune noir parmi les “siens” ne le sera pas dans sa propre famille. Tout au contraire de l’homosexuel-le qui grandit étranger dans sa famille avant de rejoindre un autre monde étranger, celui de l’hétérosexualité. Nous avons tellement pris l’habitude de vivre en terre étrangère, largué-es par des conversations qui ne nous regardent pas, lisant des histoires d’amour qui ne nous aiment pas, totalement circonscrits par une structure de reproduction familiale qui n’est pas la nôtre, que nous avons même fini par l’oublier.
En quittant le forum et en revenant à la vie concrète que j’avais dédaignée, en me promenant dans les rues, dans les chemins de l’arrière-pays, dans les villages salins, je l’ai soudain sentie étrangement plus mienne, réabsorbée, peut-être parce que m’accompagnait le sentiment d’appartenir à une sorte de monde, d'univers de signes et de village délocalisé que j’emmenais avec moi : le forum, cet État manquant.
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