lundi 28 janvier 2013

Wendoline - remix


Elle arrive à larges enjambées malgré de hauts talons qui surprennent l'assistance. Lance un "salut" dépréoccupé de nord-américaine, se déchausse et pose une fesse sur la table d'école insulaire. C'est une Québecquoise au sourire facile et pragmatique.

-Alors... commence-t-elle. Tout le monde est dans une attente qui confine à l'inquiétude, “elle est très maquillée”, fait remarquer une quarantenaire à lunettes.
-J'm'appelle Mélanie et j'vos vous parler des coups...
En un éclair je suis assaillie par une vision death : elle va nous tendre de grosses carottes et nous apprendre à faire une pipe...
-C'qui fô bien comprindre c'est qu'y a trois types de coups sur terre... J'propeuse qu'on s'assoille et qu'on visuolise sans l'faire...

C'est un début de prise en main, on se sent portées vers quelque chose de bon et rassurées, chacune regarde autour d'elle comme un chien qui tourne pour se poser. Une fois à terre on a un regard de gratitude pour Mélanie. On a toutes mis des pantalons mous et de grosses chaussettes, on retire les bagues et les colliers : il y a des poésies collégiennes au mur et un grand souffle de vide enfantin autour de nous. Ils sont rentrés chez eux. On ne sent plus que ce grand vide balayé par les souffles d'air chaud et plus au fond, cachée au centre de chacune, la charge de violence intacte qui nous a réunies.

… il y o d'abord 1, les coups doux, puis 2, les coups durs... et 3 les coups mortels...

Qui sommes-nous ? Nous avons expliqué l'une après l'autre à Mélanie pourquoi nous sommes là. Nous avons eu peur, nous traversions la rue pour éviter la silhouette, nous enfermions les enfants dans la chambre, il nous serrait les tempes entre ses doigts, nous baissions la tête pour ne pas rencontrer le regard du butor, il nous prenait un doigt et le retournait, il tenait sa chaussure à deux mains, nous levions les mains et le poing joueur partait dans les côtes, il nous a baisées le lendemain, nous griffons l'air, nous lâchons l'arme, nos mains inhibées se détrempent, nous filons comme des proies affolées sur saturday night boulevard, notre peau bleuit sous les manches longues de la terreur.

… les coups doux sur le coude, au tibiô ou à l'aine vont laisser une trace réparable. Les coups durs sur une ôrticulation fragile des pieds ou des mains, contre la rate ou l'foie vont d'minder d'très longs souins. L'coup mortel sur l'artère ou aux timpes vous débarrasse d'un eunnemi armé ou très m'naçant qui en veut à vot' vie.

Nous sommes les Femmes. Nous sommes là par le fait de l'éducation. Nous avons été élevées dans l'idée de Sa force et nous lui déléguons notre protection. La violence est rentrée en nous et nous avons fermé la porte à clé, nous ne rendons pas les coups, nous sommes le sac du boxeur, nous sommes le miroir de l'armoire incassable, nous sommes le mot de trop dans la journée, le steak brûlé quand il ne fallait pas, la gouine de trop, la cause de tout...

… Premièr'mint, connaître les parties faibles du corps mosculin. C't inutile par exemple d'frapper aux bras, aux épaules ou aux cuisses. Deuzièm'mint, la conscience de c'te vulnérabilité. Personne n'est obligé d'tuer, mais l'simple fait d'savoir que vous l'pouvez change complèt'mint la perception qu'vous avez d'l'agresseur.

Nous nous appelons Lucie, Roseline, Béa, Marceline, Chérifa, c'est notre premier jour de stage. Nous apprenons les coups et nous les essayons sur un sac, nous découvrons notre force. La fleur vénéneuse que nous avions au fond du ventre s'entrouvre et grandit.

… la question est d'proj'ter dans l'coup la totalité d'énergie dont vous êtes capoble. J'prinds l'exemple où v'z allez taper dans un ventre. Ben dans c'cas c'est pas l'ventre qu'vous devez tenter d'atteindre dans vot'tête mais carrémint l'mur derrière l'adversaire. L'important c'te aussi d'savoir qu'l'adversaire n's'y attend point du tout. S'il agresse une femme c'est po par hasard, c'est parce que c'te un lâche.Y s'attend justmint à c'que vous vous soyez moins forte et qu'vous sachiez point vous défendre, sinon y l'attaqu'rait un homme. Donc en l'frappant pour d'vrai, vous portez d'jà un coup énorme à sa conscience...

À la fin de première la journée nos mains féminines brisent une planchette de pin de 2 centimètres. Nous avons accepté l'idée de faire mal et appris à ne pas nous faire mal. Le wendo est une pratique d'autodéfense pour femmes, il emprunte ses techniques les plus simples à plusieurs arts martiaux et consiste à briser les conditionnements qui transforment une femme en coussin. Son idéal est avant tout : éviter d'avoir à se battre.

… j'précise ben que c'que vous avez appris là doit rester confidentiel et s'cret. C'n'est point la guerre des sexes c'est la réponse à un état d'choses entre sexes...

Mélanie replie son matériel qui prendra avec elle la route de Tours, Paris ou Liège. Quand nous sortons du stage les hommes du saturday night boulevard sont déjà là avec leurs bras tatoués, ils ont tous un peu l'air d'agresseurs potentiels. Nous réapprenons à les voir avec notre nouveau corps, nous les regarderons demain un peu plus amicalement.

Nous finirons par les voir avec autant de sentiment qu'un lapin blanc, descendant comme les autres vers la mer avec un cœur adolescent de 17 ans.

2 commentaires:

  1. Magnifique ! Ce texte est d'une grande qualité littéraire. J'aime beaucoup.

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    1. Merci ! J'ai repris sa puissance (et sa tranquillité) à un discours déjà armé...

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