C’est
normal, les gens du passé existent puisque ils ont existé, mais les
gens du futur n’existent pas encore. Moi par exemple, je ne voyage
que dans le passé car le futur n’existe pas.
La
dernière fois, j’ai décidé d’aller voir la Commune. 1871, vous
vous souvenez ?
Arrivée
là, qui je vois dans mon prompteur ? Louise Michel en costume de
garde national. Grosse sensation.
Je
l’ai tout de suite embrassée sur la bouche, elle avait de la
moustache et ça m’a chatouillée.
Louise
Michel était un peu vénère -tenir une barricade génère une
grande tension vous savez- donc elle m’a mis une baffe.
Enfin,
elle a essayé devrais-je dire. La baffe s’est perdue dans
l’histoire impossible puisque je n’existais pas. Je l’ai
embrassée encore une ou deux fois même si je savais qu’elle avait
des choses importantes à faire ; ce n’est pas tous les jours qu’on
tombe sur Louise Michel... Même séparée d’elle par un champ
magnétique de 130 années je sentais la puissance de sa personne ;
sa colère, sa volonté, ses capacités de chambardement me
bouleversaient. J’allais encore rentrer chez moi toute excitée.
Donc
Louise était là devant moi à gueuler et à essayer de me mettre
une gifle tandis que moi je lui disais : Louise, ne les laisse pas te
juger, ne vas pas au bagne. Quelle femme ! Elle n’a pas écouté
mes conseils -on n’écoute jamais les conseils de Cassandre du
futur, c’est déjà dur de voir devant soi, on ne va pas s’amuser
à scruter l’inexistant.
Finalement
Louise était tellement dégoûtée qu’elle m’a envoyé un
pruneau. Victor Hugo a tenté de prouver comme un gros macho qu’il
est que Louise n’avait jamais tué personne pendant la Commune et
qu’elle s’était accusée injustement, c’est faux je l’atteste.
Elle ne m’a pas tuée mais elle m’a bien tiré dessus. Et si elle
m’a loupée ce n’était vraiment pas sa faute.
Donc
nous en étions là quand Beatriz Preciado a débarqué à son tour
sur la barricade de Clignancourt. Ça m'a fait à peu près le même
effet que lorsque tu marches toute la journée pour arriver sur un
site retiré et que tu finis par tomber sur un car de touristes.
Beatriz avait vieilli, elle devait venir de 2030 ou quelque chose
comme ça et elle m’a prise pour Louise Michel sans doute car elle
m’a aussitôt embrassée sur la bouche. Elle ne devait plus très
bien y voir ou son géo-loc être en panne de batterie, bref peu
importe, ça m’a vénère.
-Connasse,
ai-je dit, ça te ferait mal de demander la permission ?!
Elle
avait une langue pointue de caméléon qui m’avait coupé le
souffle. Louise Michel était stupéfaite de voir tant de gouines à
la fois -on aurait dit le Disneyland des gouines- et elle a appelé
ses potes au secours.
-Voilà,
j’ai dit à Beatriz, tout ça c’est de ta faute. Il faut toujours
que tu viennes faire ta star dans le Temps.
Ni
une ni deux, elle a sorti son sabre et me l’a passé à travers le
cou. Le champ magnétique était de la crème pâtissière pour elle,
du béton pour moi, pauvre 2013iste. Je n’ai pas eu le temps de
riposter, je me suis abattue sur la barricade en criant :
-Adieu
Louise ! Tu es un peu homophobe mais je te pardonne comme j’ai
pardonné à Lola Riqueza du syndicat des travailleurs andalous
SOC-SAT qui n’a pas répondu à mes avances... !
C'est drôle, dans
le passé il n’y a que des gens célèbres. On dirait que les gens
méconnus comme moi ont été inventés au 20ème siècle,
dans le même élan qui a engendré la démocratisation de
l’équitation et l’enseignement de masse. Mais cet équilibre est
en train de se transformer. Grâce aux navigateurs et aux
téléscripteurs quantiques il y a de plus en plus de voyageurs pour
de moins en moins de célébrités.
Il
va falloir apprendre à partager.
*
Poème de Victor Hugo consacré à Louise Michel.
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