Elle
arrive à larges enjambées malgré de hauts talons qui surprennent
l'assistance. Lance un "salut" dépréoccupé de
nord-américaine, se déchausse et pose une fesse sur la table
d'école insulaire. C'est une Québecquoise au sourire facile et
pragmatique.
-Alors...
commence-t-elle. Tout le monde est dans une attente qui confine à
l'inquiétude, “elle est très maquillée”, fait remarquer une
quarantenaire à lunettes.
-J'm'appelle
Mélanie et j'vos vous parler des coups...
En
un éclair je suis assaillie par une vision death : elle va nous
tendre de grosses carottes et nous apprendre à
faire une pipe...
-C'qui
fô bien comprindre c'est qu'y a trois types de coups sur terre...
J'propeuse qu'on s'assoille et qu'on visuolise sans l'faire...
C'est
un début de prise en main, on se sent portées vers quelque chose de
bon et rassurées, chacune regarde autour d'elle comme un chien qui
tourne pour se poser. Une fois à terre on a un regard de gratitude
pour Mélanie. On a toutes mis des pantalons mous et de grosses
chaussettes, on retire les bagues et les colliers : il y a des
poésies collégiennes au mur et un grand souffle de vide enfantin
autour de nous. Ils sont rentrés chez eux. On ne sent plus que ce
grand vide balayé par les souffles d'air chaud et plus au fond,
cachée au centre de chacune, la charge de violence intacte qui nous
a réunies.
… il
y o d'abord 1, les coups doux, puis 2, les coups durs... et 3 les coups
mortels...
Qui
sommes-nous ? Nous avons expliqué l'une après l'autre à Mélanie
pourquoi nous sommes là. Nous avons eu peur, nous traversions la rue
pour éviter la silhouette, nous enfermions les enfants dans la
chambre, il nous serrait les tempes entre ses doigts, nous baissions
la tête pour ne pas rencontrer le regard du butor, il nous prenait
un doigt et le retournait, il tenait sa chaussure à deux mains, nous
levions les mains et le poing joueur partait dans les côtes, il nous
a baisées le lendemain, nous griffons l'air, nous lâchons l'arme,
nos mains inhibées se détrempent, nous filons comme des proies
affolées sur saturday night boulevard, notre peau bleuit sous les
manches longues de la terreur.
…
les
coups doux sur le coude, au tibiô ou à l'aine vont laisser une
trace réparable. Les coups durs sur une ôrticulation fragile des
pieds ou des mains, contre la rate ou l'foie vont d'minder d'très
longs souins. L'coup mortel sur l'artère ou aux timpes vous
débarrasse d'un eunnemi armé ou très m'naçant qui en veut à vot'
vie.
Nous
sommes les Femmes. Nous sommes là par le fait de l'éducation. Nous
avons été élevées dans l'idée de Sa force et nous lui déléguons
notre protection. La violence est rentrée en nous et nous avons
fermé la porte à clé, nous ne rendons pas les coups, nous sommes
le sac du boxeur, nous sommes le miroir de l'armoire incassable, nous
sommes le mot de trop dans la journée, le steak brûlé quand il ne fallait pas,
la gouine de trop, la cause de tout, un trou sans fond.
…
Premièr'mint,
connaître les parties faibles du corps mosculin. C't inutile par
exemple d'frapper aux bras, aux épaules ou aux cuisses.
Deuzièm'mint, la conscience de c'te vulnérabilité. Personne n'est
obligé d'tuer, mais l'simple fait d'savoir que vous l'pouvez change
complèt'mint la perception qu'vous avez d'l'agresseur.
Nous
nous appelons Lucie, Roseline, Béa, Marceline, Chérifa, c'est notre
premier jour de stage. Nous apprenons les coups et nous les essayons
sur un sac, nous découvrons notre force. La fleur vénéneuse que
nous avions au fond du ventre s'entrouvre et grandit, elle se fraye
un chemin libérateur vers nos bras et nos pieds, elle parvient à l'air libre.
… la
question est d'proj'ter dans l'coup la totalité d'énergie dont vous
êtes capoble. J'prinds l'exemple où v'z allez taper dans un ventre.
Ben dans c'cas c'est pas l'ventre qu'vous devez tenter d'atteindre
dans vot'tête mais carrémint l'mur derrière l'adversaire. L'important c'te aussi d'savoir qu'l'adversaire n's'y
attend point du tout. S'il agresse une femme c'est po par hasard,
c'est parce que c'te un lâche.Y s'attend justmint à c'que vous
vous soyez moins forte et qu'vous sachiez point vous défendre, sinon
y l'attaqu'rait un homme. Donc en l'frappant pour d'vrai, vous portez
d'jà un coup énorme à sa conscience...
À
la fin de première la journée nos mains féminines brisent une
planchette de pin de 2 centimètres. Nous avons accepté l'idée de
faire mal et appris à ne pas nous faire mal. Le wendo est une
pratique d'autodéfense pour femmes, il emprunte ses techniques les
plus simples à plusieurs arts martiaux et consiste à briser les
conditionnements qui font d'une femme un coussin. Son idéal est
avant tout : éviter d'avoir à se battre.
…
j'précise
ben que c'que vous avez appris là doit rester confidentiel et
s'cret. C'n'est point la guerre des sexes c'est la réponse à un
état d'choses entre sexes...
Mélanie
replie son matériel qui prendra avec elle la route de Tours, Paris
ou Liège. Quand nous sortons du stage les hommes du saturday night
boulevard sont déjà là avec leurs bras tatoués et dévêtus, ils
ont tous un peu l'air d'agresseurs potentiels. Nous réapprenons à
les voir avec notre nouveau corps, nous les regarderons demain un peu
plus amicalement.
Nous finirons par les voir avec autant de sentiment qu'un lapin blanc, descendant parmi tous et toutes vers la mer, avec un cœur adolescent de 17 ans.
Nous finirons par les voir avec autant de sentiment qu'un lapin blanc, descendant parmi tous et toutes vers la mer, avec un cœur adolescent de 17 ans.
[Merci à S. R. pour son témoignage]
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