mercredi 19 octobre 2011

Bang bang (II) Scène de la vie quotidienne au commissariat


L'AGENT DE LA FORCE PUBLIQUE

-Vous voulez déposer une plainte ou une main courante ? Bon parce que la plainte c'est pas pareil, il faut d'abord aller à l'hôpital, faire constater les coups et revenir avec le constat...
-Ah alors c'est une main courante. Une main courante c'est facile, pas d'examen, pas de certificat, vous dites ce que vous voulez...
-C'est qui la victime, c'est vous ? D'accord, c'est vous.
-À votre domicile ? D'accord. Mais c'est qui cet homme qui vous a frappée à votre domicile ? Vous le connaissez ? Vous le connaissez sûrement...
-C'est le mari de madame ? Madame, c'est votre mari ? Votre mari a frappé madame?
-Donc vous me dites que votre mari, là, au lieu de vous boxer vous, il a boxé madame...
-Comment ça, vous trouvez ma remarque étrange ? Le mari de madame vous a bien frappée non ? Alors allez vous asseoir, mesdames, et on vous appellera...

Le mari de madame hi hi, le mari de madame

Quand on les rencontre on ne sait pas pourquoi ils sont mariés. Des gens mariés, c'est immédiatement légitime, y'a rien à dire, ça n'a pas de contenu. C'est beau et fort dès le départ. Ce qu'ils y mettent, que ce soit de l'amour, du plaisir, de l'estime ou un pamplemousse, c'est pareil. Ça pourrait aussi bien être un crédit revolving ou un contrat de location, dans le contrat on regarderait les termes, là on ferme les yeux, on ne regarde pas, c'est sacré le mariage. Il ne faut surtout pas y mettre les pieds. Quand les gens commencent à vous mettre dans cette chose on ne le sait pas. Les enfants grandissent là-dedans et ne s'en aperçoivent pas, ou plus tard. Qu'ils sont dans la haine, dans un amour qui les dépasse ou dans un crédit à fort taux d'intérêts, ils mettent des années à comprendre qu'ils ont grandi dans quelque chose qui n'était pas eux.

Là c'était un beau couple, M. et E. Un bel alliage honorant la mondialisation. Il y a donc eux, cette boîte de Pandore dans laquelle on ne regarde pas, et moi : je suis l'amante du couple.
Si tout avait été bien fait j'aurais été l'amante du mari. Ça n'aurait pas posé de problèmes amante du mari, on ne prend pas de coups pour si peu. Mais voilà, moi je serais plutôt l'amante de l'épouse. Je dis plutôt parce que ce n'est pas trop clair pour le mari. Et pour l'épouse aussi ces choses mettent du temps à se savoir : les maris on leur appartient, c'est comme ça. Logiquement, si elle est à lui et moi à elle, alors je suis aussi à lui. L'épouse est dans ce film sans le savoir, ce film beau et fort qu'on ne passe jamais mais dont on rêve juste un peu au moment de se marier. Mien tien. Cette femme est à moi disaient ces pauvres enfants. C'est là ma place au soleil.

Moi une gouine

Les invités sont au salon. Ils sont venus pour la saisie de l'appartement de E. Ce sont de bons amis. Sachant qu'en resserrant les rangs on peut boire et pourquoi pas fêter un désastre. Elle paie son appartement depuis des années. Pendant des années les dettes de son premier mari ont rongé l'appartement qu'elle payait. C'est fini. Elle va quitter l'appartement. Les amis demandent qu'est-ce qu'on peut faire ? on leur ressert un coup. Elle dit aussi qu'elle va divorcer. Du second mari.
Elle a tenté de passer la main à travers les barreaux ; elle ne sait pas comment passer le corps. Sans en passer par la violence ou l'alcoolisation. Le second mari, lui a toutes les clés.

Il a cette manière habile et insidieuse de s'emparer de nos besoins, il nous ressert dans nos verres, il est dans le couloir, il va nous chercher du tabac, j'insiste pour lui donner de l'argent, il a toute prise sur la question : se rapprocher, feindre une étreinte amicale et câline, me coller sa queue entre les jambes. À deux mètres de nous de l'autre côté de la cloison sont les conversations calmes, les couples sages, le glacis barge et despotique de la normalité dans toute sa splendeur schize. Je le repousse deux fois. Je le laisse haletant devant son attirail nespresso de clooney levantin. Comment ai-je pu ? Moi une gouine, me refuser à lui ? Toi un Turc, moi une gouine. Que se serait-il passé si j'avais été seule ?

À six heures du matin les invités sont partis. Je n'ai rien dit, E. veut quitter la maison. La décision la prend, comme ça. Nous prenons la fuite. Nous roulons sur les axes déserts, il n'y a plus que l'œil rouge des rats et le silence. Et les téléphones qui nous rattrapent. Lui devenu maître moral, la fille de E. qui s'adjoint au maître moral pour ramener la mère à la maison. On dirait un rapt romain en Suzuki. C'est une nuit lucide, une expropriation calme et belle. À l'arrivée j'ai la fille dans le téléphone, je lui dis que le maître moral de la maison serre les gouines dans les coins. Il sait maintenant. Tout le monde sait. Quand il rappelle sa voix est définitivement mutée dans la maîtrise de la terreur : salope, ordure, pourquoi tu as ?

Un beau matin il y aura dans ta vie un choc sourd, cette fureur martelant à la porte, l'épouse ouvrant au maître moral en tenue de nuit, les yeux dans les yeux impossibles à baisser et le premier coup, qui part toujours du plus fort.

L'AGENT DE LA FORCE PUBLIQUE

-Euh, et vous madame, qu'avez-vous fait ?
-J'ai couché avec lui et c'était bon.
-Vous pensez l'avoir calmé au sujet de Madame ?
-J'aimerais qu'il l'encule pendant qu'elle me baise et qu'on le gode tour à tour.

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