lundi 15 mars 2021

Journal d'hospitalisation, 3

En quittant l’hôpital de Briançon dans un transporter siglé “Ambulances de la Maurienne”, je savais que je refermais une parenthèse sacrée. L’air était piquant encore, azoté, les neiges éternelles défilaient le long des vitres : deux ambulanciers calmes me ramenaient vers le niveau de la mer, avec cette timidité, cette gentillesse montagnarde constatée à l’hôpital que je ne connaîtrais plus.

Marseille, 13h30. Ils déposent le brancard, furtifs et souriants, devant le comptoir de l’accueil où la première pimbêche péroxydée d’une longue série nous attend, alléguant qu’ils n’ont pas réussi à se garer et qu’ils vont vite gêner. La pimbêche les fusille du regard.

-Carte d’identité.

Je plonge ma main valide dans l’enveloppe que j’ai préparée et m’étire de toutes mes forces pour atteindre le comptoir de l’employée, qui ne fait pas un geste pour m’aider.

-Carte vitale.

Même gymnastique terminée par un mouvement du poignet de ma part pour envoyer la carte à bon port. Nouvelle œillade outragée.

-Bulletin d’hospitalisation.

Les ambulanciers m’adressent une regard désolé, feignent de s’intéresser à la vitrine du distributeur automatique...

-Chambre 121, au revoir.

Et bienvenue à Marseille !

Le service rééducation de la clinique Sourcepure* est dirigé par la Dr Oiseau Loyal*, deuxième mégère péroxydée de la journée, suivie comme par son âme d’une infirmière d’âge mûr, blonde vénitienne au regard intense et maniaque, shootée au surinvestissement professionnel, qui me fait aussitôt penser à Annie Wilkes, l’infirmière psychopathe de Stephen King dans Misery. Cette infirmière, que nous nommerons Fidel Assistant*, se jette avec une ardeur vampirique sur mon dossier et tente de convaincre deux aides-soignantes, Susie et Karen*, que ma toilette requiert une prise en charge complète.

-Mais non, lui dis-je, je me débrouille toute seule... Il me faudrait juste une...

-C’est écrit dans votre dossier : “a besoin d’aide pour se chausser !”

Pendant toute la journée, les un.es et les autres vont se succéder dans ma chambre pour débiter leur speech institutionnel, comme prescrit sans doute par le module de formation 3222 YA visant à “rendre le patient acteur de sa guérison”, durant lequel il n’est jamais question de concéder un seul temps d’écoute à l’adversaire. J’ai mis deux jours à obtenir une chaise de sorte à cesser de me brosser les dents debout sur un pied sans aucun recours contre une perte d’équilibre, une semaine pour bénéficier, de manière légèrement anticipée, d’une radio de mon bras devenu très douloureux et trois jours pour me faire virer du 1er au 3ème étage, vers la chirurgie, dans une chambre minuscule et vétuste où j’atterris pour avoir refusé mon 3ème test PCR en 9 jours.

Ici on est dans le dur, les soignant.es sont redevenu.es humain.es, concentré.es sur l’essentiel : des gens au fond d’un lit qui essaient d’échapper aux ténèbres. J’ai cessé d’être un cas motivant de guérison possible à moyen terme, j’ai la paix ; je regarde les nuages surfer au-dessus de notre monde cloué, je reconnais la dame qui a une bactérie dans son genou, le monsieur qui essaie de se relever depuis 6 mois et qui commence à douter, la vieille dame qui veut revenir à Lou Cigalou, “une maison de retraite magnifique au-dessus du golfe de la Ciotat”. Je me sens bien parmi cette humanité terrassée, tabagique, mutilée où les aspérités du genre se seraient presque adoucies.

Nous sommes toustes des corps pénétrés. Par des pare-chocs, des vis, broches, aiguilles, bactéries, staphylocoques, prothèses, fixateurs externes. Comme une ouverture féconde dans l’ancien temps validiste.

* Le nom a été modifié pour éviter une attaque au marteau.

* Les personnes dont je ne dirai aucun mal (et même l’inverse) seront nommées par leur vrai nom. Qu’elles et ils en soient remercié.es : ielles existent.







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