dimanche 27 mars 2011

Seconde lumière


Il pleut, le vent souffle, humeur morose sur le forum. Ce matin à 10 heures 21, heure d'été, je me suis fait prendre par une araignée géante sur Second life.

Elle est d'un bleu métallique, cachée derrière le rideau de sa toile qui sert d'interface, un peu comme une cascade. Vous cliquez sur un ballon rose, vous répondez "oui" à “voulez-vous que ?", un cri retentit (le vôtre ?). La toile vous happe, vous écartèle bras et jambes, l'araignée se plaque contre votre dos, elle dénude votre poitrine et referme ses 3 + 3 pattes sur votre torse assujetti : son phallus mauve éclot comme un boa hors de sa cage, remonte entre les cuisses, pénètre vos chairs et se met en action. 
Andromède et le monstre des mers.

On peut se faire baiser par toute sorte d'animations préprogrammées et d'avatars humanoguidés sur Second life. Au fond on se fait toujours baiser par un script, et derrière ce script, par un être humain.
J'ai ressenti des choses irréelles réelles bien avant que l'araignée ne lâche son grand panache de joie radioactive et ne se remette au travail...

La plage nudiste est fréquentée par des avatars animés d'intentions sexuelles diverses et plus ou moins inavouées, mais tous et toutes dans leur immense majorité ont adopté le script hétérosocial en vigueur : mecs surmusclés et surmembrés, filles en lingerie sexy rebondissant dans le sable sur leurs talons de barbie. Je me suis fait un avatar aphromodulable, gros seins, bonnes fesses, membres vigoureux et tignasse indécidable, aucun decorandum colifichette mais une attention contrastée aux mélanges de couleurs (être visible). 

J'attire les poupées barbies dans un coin, je leur demande si elles veulent baiser une femme. Toutes barbiedolls, même celles qui se touchent sur les sofas feutrés du lesbian lounge. Elles répondent bien souvent “never done it with a woman" mais ne disent pas non. De fil en aiguille, tout en douceur, je m'appuie contre un mur, je leur demande de s'approcher, je leur révèle la branche maîtresse d'un Sarah Nerd's cock érigé ©. 

Je pourrais cliquer sur un ballon bleu nous permettant sans grand effort pour elles et pour moi de me mettre à la place du mâle et de les fourrer comme un âne. Mais ce n'est pas mon but. Ce n'est pas mon envie. Je veux qu'elles me prennent. Je veux que des femmes s'autorisent à me plier contre elles. La vierge Roumaine Eustasia Anafari finit par me le concéder : “yes, but I don't have any cock." Je fais “partager mon inventaire avec Eustasia" et je lui propose un choix de queues de la plus timide à la plus trapue. Elle choisit l'Énorme, me plaque contre le mur, clique sur le ballon bleu et me pénètre.

Elle a bien choisi l'animation, un set sans pornochichis qui varie les rythmes et les temps d'action (ressort doucement, happe un sein, rerentre avec un heurt). On ne sait jamais vraiment ce qui se passe pour l'autre à ce même moment, l'autre réel devant son écran (et non derrière comme on l'écrit improprement), c'est une des questions, un des charmes. J'en finis assez vite après la lente montée qui m'a conduite jusqu'à ce mur, elle non. Elle m'entraîne dans une pièce grillagée : je la laisse avec mon avatar finir ce qu'elle a si bien commencé...

Dira-t-elle ou pensera-t-elle quelque part en retouchant son lipstick roumani : “aujourd'hui à 10 heures 21, heure d'été, j'ai fourré une femme avec un sexe d'homme ?"
La pluie cesse, les voix des vivants remontent du port caressées par le shunt des pneus sur la chaussée mouillée ; je vais sortir et les croiser d'un air étrange, andromédien, comme si là aussi le monde pouvait se renverser soudain.

Guerre en Libye. Hémorragie nucléaire au Japon. Sur le forum, B11 me poursuit de ses obstinations polémiques, tout va bien ; j'apprends à me taire, heure d'été.

dimanche 20 mars 2011

Mon corps est un champ de bataille


Parfois je me réveille à bout de souffle, je tâte à côté de moi, il n'y a personne, je cherche le réveil, il est 4 heures. Il y avait comme plein de femmes dans la pièce à côté, il n'y a personne, des femmes se disputant le droit de m'arracher un œil, je me dis chut, calme-toi, as-tu fermé les volets ? 

Elle est en bas sur le banc du Vieux-Port guettant après la lumière, elle est sous la douche me demandant une serviette propre. Celle-là ? Non pas celle-là. Celle-là ? Non plus, aucune de ces serviettes ne me convient. Elle part en criant à-moi-tu-es-à-moi, fait s'envoler les gabians du môle, ces serviettes tu les donnes à toutes, je me réveille à bout de souffle, il est 5 heures.

Septembre, octobre. Pass est amie avec tous mes amis, Anice me poursuit de ses ardeurs malgré ma négative, attention piège, lui dit Usual, ne pas répondre à cette salope, Anice se le tient pour dit et remercie en public.

La drôle et imaginative Putsch (de Rouen) m'envoie des mails enflammés. Je fréquente tous les mois le gang des Marseillaises, je décline une invitation privée de Sic, je passe deux mois de calme jusqu'à la Toussaint, je reçois la visite de Putsch.

B11 devient ma défenseure online, et se prend le bec avec Pass,  laquelle me fait savoir qu'elle a couché avec "ton amie Anonyx". Le premier soir de ses vacances, Putsch glisse la main sous ma ceinture.

J'emmène Putsch chez Anonyx en vue d'une promenade en kayak, Anonyx se saoûle et m'embrasse dans son lit, Putsch ébranlée me demande si j'ai des sentiments pour elle, j'hésite et je réponds que non ; je suis renvoyée de sa chambre à minuit.

Au rendez-vous du gang je découvre Putsch, invitée d'Anonyx, qui me salue par un "doigt". Sic m'enlace au "Cancan", Phylacte à qui j'ai touché le bras me surveille, Putsch se saoûle irrémédiablement : va te faire enc. Je regarde la piste appuyée à un pilier, Sic vient doucement contre mes fesses qui répondent oui, mouvement dans la salle. Je me dirige vers l'attroupement, Putsch a buté sur une marche, on l'emporte sans connaissance. À la place de sa tête un cercle rouge sombre.

"After" aux urgences avec Sic et Anonyx : Phylacte qui "ne supporte pas la vue du sang" s'est esquivée, Putsch se réveille avec trois points sur le crâne. Je la remmène à son hôtel, nous nous expliquons, je reçois des sms insistants de Phylacte pour aller visiter les calanques, Putsch reprend son train, apaisée ou épuisée je l'ignore.

Le lendemain, Phylacte, de retour à Paris, poste un topic sur la nuit des louves. J'embrasse à tour de bras, je quitte comme on s'essuie la bouche après un verre, je prends, je saigne mes victimes, Putsch en a, dit-elle, appris de bien belles sur moi, je me suis servie d'elle pour plaire à une autre, on le lui a dit. Gouine de réseau : cerclée d'intentions,  de volitions, de détestations obscures. Dans le plus grand secret j'entre en relation intime avec Sic, nous nous quittons en janvier ; en février, B11 m'annonce qu'elle descend à Marseille...


"Jeu de guerre sur le mont vénusien"
par Putsch

PUTSCH : Nue comme un vers couché sur le dos ; de préférence sur une surface plane...
Imagine ton corps devenu un vaste champ de bataille sur lequel on pourrait introduire de petits soldats en plastique de dimensions variées afin de donner l’illusion de plans différents.
Voire y ajouter des chevaux au galop pour le mouvement, et je ne sais quoi d’autre...

Tes seins deux grosses tentes où un camp pourrait se réfugier et se planquer de l’adversaire situé quant à lui derrière tes cuisses ou ton séant (par exemple).

L’objectif serait de pouvoir balancer des projectiles, genre purée mousseline ou petits pois avec des cuillères à café en guise de catapultes.

Il faudrait un peu de couleur pour le sang des nombreux morts ; de l’éosine pourrait parfaitement convenir.

On pourrait également imaginer une scène dans une grotte. Je te laisse imaginer quel serait l’endroit avec des soldats se cachant et disparaissant dedans. Bien sûr on ferait semblant.

MOI : Il va de soi que je tiendrai la caméra !

PUTSCH : Tu ferais à la fois le décor, les acteurs et la costumière. Le meilleur rôle, autrement dit.

mercredi 16 mars 2011

Ton topic sur Dustan m'a fait womir


Raaaaa, grrrrrrrr, va te faire atelier d'âcriture toâ, nerffffffs, hummmmpfff, yellow smile, toâ nawakmerd, toâtoâtoâ arrrrrrhh, cariéticône, je te arrkkkk, grinchh, va te faire vache, vlan, vete, tue-moi, négroticône, ki ki te lit encoretoâ ? pouahhhh, euuuuurk, lovlovmiplisss, lovmedesaster, negrote, infâm, va te merder à oh 12 h 30 pouaaahhh”

Vous vous souvenez de la litière de chat ? Ok. 
PassP revient. Wuah ! Sur le forum et pas seulement. Wuahwuah comment ça va flinguer maintenant. Postez furax online, vous allez voir. Schatz. Mein Traum. Verse deux gouttes de nitro sur de l'huile d'e-friture et attends. Je vais la tuer. Qui, elle ? Moi aussi. Laquelle des deux ? En duel ? On est revenues les furax. Moi aussi ? Nous toutes. On n'a plus fait sabbat depuis des siècles. Gouine noire. Ton châton je le bouffe sans cuisson. Sans cuisson. 

Je sors du travail, je passe aux Danaïdes. Deux amis me font signe : “regarde qui voilà !...

Stupeur.

ELLE. Assise à la terrasse. Assise et souriante entre MES amis, mes chères folles. Qu'est-ce qu'elle fout là bon dieu ? 900 kilomètres de pseudo mur protecteur abolis. S'est liée avec AL, vit chez elle, “a des choses à faire à Marseille”, plaisante avec ThéronZ, Wiklau. Incrustée. Le ricanement contenu qui lui fait briller les yeux. La bonne blague.


Je quitte “entre filles”, je fais demande d'asile politique sur “bavardages”, je me glisse entre ses garçons. Et en nous lisant, en nous entrelisant, ma pensée file vers un nom : Dustan, Guillaume. Même sans personne, même sans garçons, j'ai souvent repensé à Dustan. Ses livres disparus des rayons, sa morgue d’oursonne tendre et pensive, ses titres en forme de compte-à-rebours. Je contemple la plaie noire de sa disparition d'enfant prodige : si j'ai une fille, G.D., fais-nous l'honneur de revivre chez moi.


C’est une des plus belles pages de Beatriz Preciado dans Testo Junkie qui réveille ce souvenir. “Ta mort. “Tu as pourri pendant deux jours dans la position même où tu es tombé. C’est mieux comme ça. Personne n’est venu te déranger. On t’a laissé seul avec ton corps, le temps qu’il fallait pour abandonner toute cette misère dans le calme. Je pleure avec Tim. Ce n’est pas possible.


Je poste “William B. pour mémoire”, presque sur la pointe des pieds, tant je crains de voir resurgir l'image-repoussoir : barebacker. Juste un peu de William B. corps perdu, et de Guillaume D., écrivain. En pure perte. À chaque fois qu’on parle de Dustan avec des pédés c'est toujours la même chose. L'épouvantail médiatique, la bête noire d’Act Up, celui qui s’est fait plomber deux fois, par le virus et par le milieu, afin de mieux resserrer les rangs d’une néogay communauté chic, safe et électoralement présentable.


Quand on me demande ce qu’il a apporté littérairement je pense à son geste inaugural. Dustan est venu dire “je sors ce soir”. Tout ce qu’il fallait pour sortir un pédé de sa chambre, apprendre à s’habiller, danser, faire l’amour, cuisiner ou expérimenter des états sensoriels d’une manière qui restait à inventer, il l’a inventé. En vivant, en écrivant. Et comme il ne savait pas encore QUOI au moment où il sortait de sa chambre -et se mettait à l’écrire avec un léger différé temporel qui est l’un des temps les plus courts de la maturation littéraire, Dustan a découvert une sorte d’énonciation : un perpétuel présent courant sur l’instant, sans jamais l’enfermer, un existentialisme animal.


Je ne l’ai jamais rencontré, je l’ai lu pendant deux ou trois ans à Buenos Aires où j’allais deviner et reconnaître l’un de ses amants du Chili qui travaillait à Santiago, et j’ai toujours ressenti pour lui une amitié, une tendresse confiante que je n’avais pour personne de connu.

Une sensation qui débordait, ou déplaçait largement le champ habituel du littéraire : je l’aimais.

Marcelo a laissé son sang noir dans un de mes lits et une édition grand format de Nicolas Pagès où Dustan lui avait écrit une sorte d'adieu, à la main. “Je ne le vois plus. Il est parti dans l'héroïne.”


Dustan était un manifeste au quotidien, avec une égale confiance il citait le journal d’une vieille tante, une chanson, un boum boum de dance floor plus fort que les voix, parce qu’il croyait en toutes ces aptitudes à se vivre et à s’inventer, je gobe, je gobe un œuf, un ecsta, une queue, un trajet jusqu’au Monoprix du coin ou jusqu’à la tireuse. Il était “Saint-Sade” comme a dit Causse, il a tout pris en lui : le monde, les queues, la pisse, la pharmacochimie, les capotes qui explosent, sa responsabilité et celle du contamineur. Il a tout pris et il n’en a fait ni un temps perdu ni un temps retrouvé, il en a fait Guillaume devient pédé. Est-ce qu'on savait seulement ce que c'est être pédé ? Passer à Act up, prendre un verre au Duplex, se faire sauter au Quetzal ?


G.D. a totalement cru en la contre-culture. Quand il disait de toutes les minorités les homosexuel-les sont les seul-es à être né-es en terre étrangère, il n’était pas loin d’un État transpédégouine. La Révolution culturelle on l'avait, avec Dustan à l'éducnat, Despentes aux affaires sociales, Angot à la justice*. On se serait amusé au moins, le temps d’une nuit... Et pas de ministre de l’Intérieur : seulement je sors ce soir. La question se serait sans doute posée de savoir si on pouvait faire travailler des transpédésgouines et comment. Mais la question se pose-t-elle ? est-ce qu’on a besoin de travailler quand on ne fait pas d’enfants ? Est-ce que vous vous êtes jamais posé la question de ce qu’il en est d'être simplement soi et de n'avoir rien d'autre devant, une-vie-une-mort-point-final ? Ce que ça  changerait de vivre sans bâtisseurs d’avenir, sans nucléaire, sans Institut de Catastrophe, avec des gens qui se débrouilleraient simplement comme ils peuvent de leur catastrophe à eux. 

 

Quand je repense à Dustan je pense à ceux qui en sont morts. On peut dire que ça fait de sacrés personnages et que lorsque par chance ils en sortaient vivants ils en sortaient grandis. Des féroces, des furies de douceur. Éric, Pedro L., Virginie D., les folles de Pinochet, Lydia Lunch... Le seul problème aurait été d’être orphelins, doublement orphelins de nos parents qui ne sont pas les nôtres (qui se demanderont jusqu’à la fin des temps ce qu’ils ont fait pour nous enfanter), et de ceux qui auraient pu l’être s’ils n’étaient morts avant de nous avoir reconnus, et enfantés... Michel Foucault, Jean-Marie Koltès, Copi, Guy Hocquenghem, Jean-Luc Lagarce, Rudolf Noureev, Jorge Donne, Klaus Nomi, Hervé Guibert, Anthony Perkins, Rock Hudson, Freddie Mercury, Keith Haring, Armando Llamas, Robert Mapplethorpe et finalement... Guillaume Dustan.


Imaginer un tout petit État minoritaire sabré dans sa jeunesse par la névrose, la drogue et le suicide (quand ce n’est pas le bistouri), privé de ses plus illustres inventeurs et orateurs... cela s’appelle “Bavardages”, femme Narsès. Un petit salon mort-né où l’on enterre pour la troisième fois G.D. avec des cris de gazelle graciée.


In memoriam G.D. (comme "Gaidrome") me vaudra une sorte d’exclusion froide et polie de “Bavardages” (concrètement “tu postes, mais on fait comme si tu n’avais rien dit”), la rancune acide d’IlbariX (pédé social-misogyne non dépourvu de talents qui a mené de retentissantes attaques contre certaines harpies d’”Entre filles”), et plus tard encore le hoquet d’une néo-ennemie (without a cause) de chez Lesbos qui proclame publiquement avoir vomi à la lecture de mon topic : “MazDa”.


Pourtant une voix descend encore des ceintres : seul contrepoint ex machina, le pavé incendiaire d’un nommé Syntholgel qui se fait rare partout et tombe avec une fureur indignée sur les “tapettes intégrationnistes” du Marais, prêtes à renier tout ce qu’il faut pour accommoder leur cul dans les beaux quartiers. Cris, accusations d’homophobie ; je le reverrai très peu sur “Bavardages” et systématiquement ignoré : G.D. nous a tuer, je reflue du côté d’Entre filles.


boumboumboumboumboumboumboum boumboumboumboumboumboumboumboum boum


Parfois, certains soirs, quand le ciel est lourd, froid ou triste et que les corps se sont à peine réchauffés avant de venir s’asseoir devant le clavier, on sent monter cette envie des esprits exaspérés de poster : le forum est plein, douloureux d’une envie de tuer.

Envie de mourir quand nous baignons dans la matrix crétinomachiste, de nous entretuer entre nous.


* J'ai barré Angot pour des raisons d'évolution récente. Le ministère de la justice reste donc vacant.

lundi 14 mars 2011

Jab dance


AL13
Extérieur nuit. Nous redescendons dans les broussailles, mes mollets se déchirent, le froid court derrière nous comme un chien, nous glissons sur le tapis humide, elle démissionne et s'assied. Je reviens en arrière, je dis allez courage, elle sourit en se relevant.
Nous fuyons la nuit épaissie, la peur, je dis ça ira, quand une maison éclairée déchire le voile. Nous revenons sur la route vers le village immobile, vers l’unique foyer de lumière d’une terrasse, je bois un cappuccino sans paille et les gens nous regardent.
Il y a des soirs où la nuit me semble plus encrée, plus pleine de nuit, comme une nuit du chasseur sans Mitchum. Une nuit retirée en elle-même qui vient lécher les essuie-glace.
Disparue des débats, avalée par son drame, AL13 est une des rares femmes attirantes du forum avec qui je n'aie pas couché. Sa perdition m'a transpercée, arrêtée. Et c'est pourquoi je la raconte en premier dans ces scènes de la vie particulière qui ont poussé sur le terreau du GaiJardin.
Ma vie inventée par le forum.

Même ciel, poster comme on respire.
Passé Montaigne, je mets en ligne une série de topics touffus qui génèrent un mélange toujours à peu près égal d’intérêt et d’agacement. Sur la corrida tout d’abord, que je vois régulièrement épinglée comme l’une des plus atroces barbaries de ce monde.
Le problème est à chaque fois : arriver avec un dossier énorme, 20 à 30 réponses argumentées et documentées aux objections qu’on ne m’a pas encore opposées, avec pour résultat un silence gêné, troué de temps à autres par quelques cris de réindignation passant allègrement par dessus mes explications (trop longues et rarement lues). Ma position est simple : 1, la corrida n’est pas de loin le traitement le plus barbare et le plus inhumain que l’on fasse souffrir aux animaux en Europe (notamment aux malheureuses viandes de l’industrie agro-alimentaire) ; 2, elle a l’avantage en tant que violence d’être visible et non-banalisée (contrepoids à la violence massive et imperceptible de l’abattage de masse) ; 3, elle est la condition de survie d’une espèce animale inemployable ainsi que de tout l'écosystème qui lui est associé : le toro bravo, le campo.
Or la violence contenue dans une boîte de pâté ouverte devant la télé, la violence de l'œuf concentrationnaire, le vivant abruti, épluché, embouti en silence dans la mort sérielle, de tout cela nous avons perdu la conscience.

Peut-on penser sur un forum ? J’ai de plus en plus l’impression que non. Ou alors pas à pas, tous ensemble, à supposer que personne ne prenne trop d’avance sur les autres. La question du débat est-elle définitivement inintéressante pour l'intelligence collective ? Oui au sens où il s'agirait toujours de tenir une position et de ne pas en démordre au risque de perdre trois centimètres de territoire ; non au sens où toute discussion dans laquelle on n’aura pas cédé fera toujours des petits, après-coup. Nous avons tous connu cela.
Selon PumaB l'erreur est d'ouvrir le dialogue en toréador : j'apprends à considérer mon “érotisme d'affrontement”, dit-elle : soit. Je repasse côté corne avec don de mon corps à la médecine, version vachette.

C'est un topic scabreusement intitulé “viol blanc” qui découle à la fois d’un souvenir personnel (une pénétration vécue pendant mon sommeil que je n’ai jamais vécue comme un viol) et de considérations sur le durcissement de la législation quant à la notion de “consentement” (éclairé, exprès ou juridiquement recevable). Ma question concerne tous les cas où un consentement ne peut avoir été formulé (sommeil, coma, état altéré, mineurs sexuels ou animaux) sans que pour autant le refus de l’acte ait été manifeste. On est en plein sujet sensible, viol, pédophilie, zones troubles où l’on consent parfois sans consentir (le célèbre sommeil de la Marquise d’O pendant sa propre agression), exactement le genre de chose à faire hurler un forum.
Le Puma balaie ma question d'un grand revers de n’importe-quoi, mais la conversation prend. Et ô miracle, une voix tombée des ceintres prend corps devant moi, répond pas à pas, développe un plan de résistance qui finira par m'éprouver rudement.  C'est ce simple cillement qui l'emporte : ai-je raison ? Peu à peu un long face à face s’installe entre nous, jusqu’à épuisement des ressources, des yeux, des doigts. Tout y passe, pendant une semaine, Marcela Iacub, Almodovar, Christine Delphy, je finis éreintée, ébranlée, et redevable. Primoposteuse, elle s’appelle Gate, jeune et dotée d’une faculté d'interposition chirurgicale : malgré le désaccord acharné entre nous, ce sera le début d’une longue fidélité sur le forum que je sais réciproque.

Mais voilà : les posteuses laissées sur le bas-côté, les féministes revendiquées en concevront une humeur irréparable. Un ardent débat se donne à voir sur “Bavardages”, dont elles n'ont pas été. Que je me lance dans un tel corps à corps sans autre intérêt que ce qui s’y dit, cela est inimaginable. Je ne connais pas même le visage de Gate, je ne lui ai jamais parlé, je ne la rencontrerai jamais et n’ai pas tenté de l’approcher, mais déjà une version circule au sujet de ces face à face qui se répéteront : voilà comment je “branche”, comment je jette tout mon érotisme surintellectualisé dans l'arène pour capturer, ligoter, emballer les belles du forum.
Un pseudo muet assiste à l'échange, il se précipite sur la fleur nouvelle : UsualS. Avec les mêmes tentatives de mise en garde et de retournement, que Gate me rapportera.

Un peu plus tard, de retour de Cannes où j’assiste à un marathon de projections, je poste un compte-rendu sur quelques-uns des films vus ce jour-là. Une nouvelle pépite tombée des ceintres vient me répondre sur l’homophobie contestée de la Nouvelle Vague, -primoposteuse et cinéphile sérieuse dotée d’un débit à toute épreuve : B11. Il s’ensuit un échange bien achalandé qui me vaudra ma troisième grâce concurrentielle sur le forum : quelques jours plus tard B11 est contactée par l'usuel commando, sommée de penser tout le mal qu'il faut penser de moi en ces circonstances. B11 résiste et me passe l’info, c’est la 5ème fois depuis que je m’exprime sur le forum.

Tout est en place.
J'erre dans l'ombre humide du boulevard, pleine d'haleines rauques et suspendues. Une backroom qui n'existe nulle part, où déambule une femme armée d'un compas.

lundi 7 mars 2011

"Ce n'est pas à toi que je parle" : je paie ma dette à la communauté


FABLE
"La gouroue et le chameau"

"La prose impersonnelle de Catherine Mc Kinnon est aride, blanchie, desséchée. Son style nord-américain témoignant d’une fixation au stade anal, mesquin et tatillon, a trouvé son contrepoids dans l’oralité furieuse et indifférenciée d’Andrea Dworkin, qui déverse avec la plus grande facilité des seaux entiers de bouillon de poule assaisonné de rancune.*

Votre âme est un ruban double ? Comme toute machine à produire des signes, de l'affect, de la durée, du territoire, de l'échange et de la discorde, le forum engendre une prodigalité sombre, désir et délire. À commencer par toutes  ces heures d'échange privé entre posteuses autour de ce qui se dit publiquement sur le forum, avec un touché de transparence illusoire.
Ma plus mauvaise réputation en toute une vie, je l'ai gagnée sur le forum, machine à produire de la fama, et de la mala fama.
Quand Usual descend sur le forum, c'est pour faire vrombir son style de pamphlétaire terrornautique. Doux mélange de physiothérapie Frankenstein et de veuve sanglière, fouillant dans le terreau des autres à la recherche d'une inspiration magistrale : sa veine éructante pompe les nôtres à la racine.

"La fosse sur mer c'est poétique tellement ça pue dès qu'on joue plus l'intello qu'on laisse parler ses tripes et ses allergies ça montre un nouveau paysage de croûtes..."

Je suis à peu près épargnée en public : je l'ignore et je suis en position forte, ni familière ni agressive donc relativement respectée ; qu'à cela ne tienne, elle va passer par le ruban noir, en privé.
Un beau jour, une amie m’informe qu’une internaute est venue lui parler de moi en pv. Des propos qui m’amochent à ce que je comprends, mais l’amie refuse de nommer le pseudo et me suggère de l'oublier. Une seconde amie fraîchement débarquée sur le forum me dit avoir été saisie de mon cas par une inconnue, dont elle s’est débarrassée. À chaque fois la loi du silence veut qu’on ne me nomme pas l’interlocutrice. Je la devine légèrement, et je passe. La troisième fois, je débusque sur le forum les premiers effets de cette secrète campagne dont je n'ai pas mesuré l'ampleur. Brig, une agréable surprise de mon séjour cyberdépendant, se lâche un jour avec une agressivité inusitée contre moi.

Pourtant, voilà quelques temps qu’on se sourit, qu’on se répond. Elle n’a pas 30 ans, crâne rasé et look total queer, capable de s’exprimer avec un égal brio sur la danse, la pauvreté, Proust ou Bataille (“Je pense comme une fille qui se déshabille”). Une tête bien faite, des positions radicales mêlées à un réel souci des autres, le tout faisant un mélange assez rare pour être remarqué. Je n’ai pas envie d’elle (trop loin, trop jeune, ou pas mon genre comme on dit), je la salue régulièrement de loin sans jamais lui parler en privé, ce qui désigne à mes yeux le précieux personnage, la merveilleuse compagne de forum qu’elle est.
Rien de plus heureux qu’un échange réussi sur le forum. Il est en quelque sorte l’épreuve d’une conversation idéale qu’on a rarement dans la réalité : moins froid, moins solitaire et autocomplaisant que la correspondance, moins rapide, mieux pesé que la conversation directe. On ne se veut rien, on ne s’est jamais rencontrées, mais quelque chose de plein et d’immédiatement substantiel remplit ce vide d’existence.

Plaisir “nolife” ? Je ne sais pas, je me demande ce qu’on perçoit de l’autre dans ces échanges, comme un moment de grâce dans un bar tardif dont on s’aperçoit finalement qu’il n’est que l’effet de l’alcool ou de la mélancolie. Mais la grâce est aussi dans cette épiphanie furtive. Ou bien alors de se sentir soudain comme chez soi en débarquant dans une île du Pacifique, avec des gens perdus au milieu de nulle part. Demain ils ou elles et vous-même repartirez dans une vie qui n’a rien à voir avec la vôtre et que vous êtes incapable de comprendre. C’est tout un. Toute humanité est contestable, mais dans ce moment x je sens l’autre respirer, je reconnais son rythme, je sens son heure ou sa fatigue, le trajet du corps aux mots qu’il tape sur le clavier je le sens, je sens aussi ces chemins incompréhensiblement divers que nous avons eus avant de nous retrouver ici, dans cet espace d’énonciation fugace, et de nous comprendre, contre toute attente.
Plaisir otaku, œcuménisme à bon marché peut-être. J’y reviendrai.
Car ce plaisir est si fort, si manifeste, qu’il devient très vite visible et insupportable sur le forum. Tandis que ma complicité avec Brig se donne à voir publiquement, une autre voix chemine vers elle et tente de l’infléchir. Je l’apprendrai en allant la voir en pv : UsualSus. 
 
"... avec vue plongeante sur la fistule qui gratouille, quel talent de répartie, quel art confiant après ça fait des abcès à force de faire des fixettes en serrant les fesses"

Toute personne qui me répond publiquement, vers qui je m’avance ou qui s’avance vers moi, sera désormais prise à partie en dial, sommée de reconnaître ma noirceur, mon intellocratie, mon arrogance, mon esprit de conquête et d’annexion lancé sur le forum ainsi que sur ses créatures. Celles qui n’y consentent pas seront violemment sanctionnées (sa plume répand la terreur), celles qui se le tiennent pour dit ne parleront jamais ni ne viendront vérifier quel ignoble personnage je suis : la rumeur est créée. Elle seront 20 ou 30 atteintes par ce patient travail de sape, les plus convaincues formant parfois commando pour venir barrer, contrer, saper en réunion un topic étiqueté “listenoire”. Et régulièrement dans ces mots le reflet, l'écho ventriloque de la théorie, du style usualien, qui se reproduit comme un slogan mécanique dans les esprits sans besoin d'être pensé ou même éprouvé.

"Tu es à chier Delphy est à chier ton topic m'a fait vomir Rhaa, les ravages d'avoir été si peu valorisée enfant, non seulement ça donne pas confiance, mais en plus ça rend parano profond"

Pendant les trois premiers mois, je n’ai pas une conscience très nette de ce sillage. Concrètement, je n’ai qu’une adversaire visible, et intermittente, à savoir PumaB qui me lance de loin en loin ces petites piques sèches et désincarnées de maîtresse d’école dont elle a le secret ; je lui rends la politesse au coup par coup, sans passion, et sans conséquence tangible (P.B. adore le tâcle perfide mais fuit le corps à corps.)
Mais j’ignore ce faisant qu’UsualSus et PumaB sont liées par un vieux compagnonnage sur le forum, une estime certaine et un contrat tribal implicite chez beaucoup de filles, selon lequel les ennemies de mes amies ne peuvent pas être mes amies.

"Et susceptible au moindre courant d'air tellement ça peut pas se poser dedans, ça a besoin de s'accrocher la tête dehors, sur le premier sujet d'achoppement pour avoir prise sur une illusion de solide, bouh, prends un miroir et souris-toi, au lieu de faire une face de rat constipé"

Qui est P.B. ? Une déité du forum, canal historique, à qui l’on doit une déférence sacrée. 63 ans, crinière blanche assumée, sexuellement active et libertaire (déteste la conjugalité straight), détient une sorte de monopole adjugé sur l’exploration de la sexualité féminine, le féminisme seventies et l'expression du sens critique. Elle assure en informatique (son job) et professe un mépris affiché pour les références dites académiques en matière de pensée (elle est autodidacte et prétend, comme beaucoup sur GD penser par elle-même).
En théorie, un profil qui avait tout pour susciter mon intérêt avec son vitalisme, son sensualisme pugnace et son “Q+QI” effronté. En réalité, une ennemie sur commande.

Le Puma n’attaque jamais frontalement ou en groupe mais par petites pointes sèches et doctorales qui n’ont jamais vraiment l’air de s’adresser à vous. C’est son discours, et elle y croit : l’empoignade l’ennuie, si elle jauge, juge ou déconsidère, c’est pure objectivité. De là ses injures qui sont toujours à double sens, désincarnées, inassumées, masquées sous l’alibi d’un humour qui ne fait rire personne parce qu’il n’ose jamais dire de qui ou de quoi il se moque. Si l’on parle de Montaigne elle s’écrie “aux chiottes, Montaigne !”, non par réprobation, comme on pourrait le penser, mais parce qu’elle a, dit-elle, lu “Montaigne aux chiottes” (la classe).
Pour certaines, PumaB est une grande perverse manipulatrice, pour moi le seul exemple de vanité parfaite jamais rencontré sur terre. Des exemplaires moraux aussi purs (vanité, perfidie, envie), il s’en trouve rarement dans la vie. Mieux que La Bruyère, mieux que Chamfort, le forum est un vivier moralistique à ciel ouvert, un camp de naturisme pour phénoménologues en eaux troubles où tout ce que nous enrobons dans nos vies se promène : NU.

 * Camille Paglia, Vamps and Tramps

jeudi 3 mars 2011

Ennemies blues, le monde des soustractions


Ça faisait longtemps que je n’avais plus eu d’ennemis, de vrais, je veux dire dans la vie, dans ma vie sans GD.
Parce que dans la vie c’est simple, les gens qu’on n’aime pas et vice-versa, on les fuit. Et si on ne peut pas les fuir on les évite, enfin moi en tous cas.
En arrivant sur le forum, je ne savais pas que j’avais une ennemie, une ennemie d’en amont, une ennemie de l’époque où j’avais un pseudo mais pas de voix, une ennemie venue des draps, des bras, comme à peu près tout ce qui arrive d’heureux ou de malheureux sur Gaidrome.

Elle s’appelait Polonium en ces temps charmeurs, et j’ignorais qu’elle avait déjà une longue, une remuante carrière de posteuse derrière elle.
Elle avait surgi comme ça, d’entre les milliers de profils qui se cherchent et se tâtent en pv, et nous nous étions rencontrées.

Présence fraîche et agréable, petite femme au visage sain, plaisant, peu marqué par le temps, qui ne cherchait ni à ressembler à une lesbienne ni à son contraire. À peine une ombre, une trace de bégaiement surmonté dans la voix, un certain silence de retrait parfois quand je parlais, mais somme toute une rencontre agréable. Ce ne fut pas “leurs yeux se rencontrèrent” parce que ce n’est jamais “leurs yeux se rencontrèrent” sous GaiLife. Dans la gigantesque Machine à Trouver (sans se perdre) il n’y a pas de surprise, pas de hasard. On n’est pas happé par un phénomène émotif, on pèse, on évalue, on met le doigt sur une carte et on la retourne, avec plus ou moins de bonheur.
J’aurais voulu ce soir-là m’en tenir à la causerie, elle insiste -je me revois hésitant à l’angle de la Canebière et du Vieux-Port, je n’éprouve pas de hâte, elle me touche, nous montons chez moi.
Cette scène précipitée, combien de fois ne s’est-elle pas répétée ?

C’est la loi des minorités. Pour une hétérosexuelle, la totalité des hommes qu’elle croise dans la rue sont une espèce possible. La solitude de l’homosexuelle, c’est qu’il y ait une immense majorité de femmes impossibles, soustraites à son désir, et un non-moins immense continent masculin porteur d’un désir auquel elle se soustrait. L’homosexualité, c’est le monde des soustractions. Lorsque une homosexuelle pressent ou croit reconnaître une autre homosexuelle dans cette masse soustraite, le monde s’éclaire un instant, la soustraction recule. Elle n’est pas libre ? Elle ne lui plaît pas ? Peu importe, cette femme homosexuelle qui passe rétablit un instant la normalité du désir, la possibilité de choisir ou de ne pas le faire. Dans les petites villes, à la campagne, dans les pays où l’homosexualité est claquemurée, l’homosexuel-le vit en exilé-e du désir. Et cette loi fait que lorsque une homosexuelle rencontre une autre homosexuelle disponible, possible pour elle voire plaisante, l’une et l’autre n’attendent pas de savoir jusqu’à quel point elles se plaisent pour se sauter dessus.

Prendre le temps de se vouloir, de laisser monter des images -son visage qui me reviendrait au réveil, une phrase que je n’aurais pas comprise, la sérénité de se dire qu’une promesse fragile nous unit déjà, tout cela est grillé en une nuit dans la rencontre GD.
Elle s’approche, pose les mains sur mon cou, et nous voilà au travail. Une nuit, deux nuits, trois. Des nuits agréables et méfiantes : je ne me rends pas tout à fait à ses jugements péremptoires, sa manière de prendre et de ne pas donner grand chose, le son mat qu'elle rend quand je parle...
Mais très vite la faille se précise, dans les rendez-vous remis, son désir de passer à l’improviste (me rendre disponible, me mettre en attente), ses exigences de reconnaissance à l’égard de son génie artistique que je ne commente jamais comme il faut, ses petites remarques sur mon intérieur, mon mauvais lit signe de dèche, mon manteau en cuir signe de richesse, tout à la fois et son contraire.

Polonium est une catastrophe vivante abritée derrière une fiction compensatoire de survie qu’elle reconstruit à chaque rencontre ; toute fissure est une attaque. En vérité RMiste qui se la joue artiste, altermondialiste, radicalesbienne, des heures derrière un Mac luxueux et totémique qui contient tout son art, persuadée d’écrire très bien sans avoir rien écrit, ne payant pas son loyer et gardant sous le coude un héritage consistant auquel elle ne touche pas tout en dispensant de temps à autres des stages de “pédagogie corporelle” qui ne la font pas vivre : une structure mentale de gourou sur une existence qui prend l’eau.

Au fur et à mesure que je me défends, le ton monte. Attaques contre mon bagage intellectuel, ma façon de vivre, mon cortex, tirades de plus en plus longues et furieuses en dial contre mon être mort-suffoqué, et lorsque je romps finalement l’échange, salve de mails orduriers contre tout ce qu’elle a pu observer ou flairer de ma vie, y compris et par dessus tout le fait d’être littéraire.

L’expérience Polonium, qui ne manque pas d’être effroyable (tant la laideur et l’intuition de son style surexcité finissent par coloniser toute ma personne) me fait toucher du doigt une chose que je n’ai jamais connue : l’expérience sectaire, la manière dont un Maître commence par démembrer vos assises pour vous placer en son pouvoir.
La vérité c’est qu’elle abhorre les intellectuel-le-s, avec lesquelles elle ne cesse de vouloir coucher. La vérité c’est qu’elle veut dès les premiers jours 1, me casser, 2, me baiser.
Et le fait est qu’elle a réussi à me faire douter, un temps, dans le face à face solitaire avec elle, à me réduire à : RIEN, avant de basculer dans un délire verbal suffisamment clair pour être libérateur. Isoler, mépriser tout ce qui a pu faire quelqu’un, sa culture, ses amis, ses passions et ses attachements, pour le transformer en proie souffrante et malade (qui s'ignore), dans un tel état de séparation qu’il ne pourra plus que tomber dans l’escarcelle charlatane, voilà la parole gouroue.

Lorsque j’arrive sur le forum, j’ai depuis longtemps oublié Polonium. Plus tard, une mise en garde de HairFroy concernant d’autres tentatives de conquête polonienne confirme mon intuition : “Elle te méprise avant même d’avoir couché avec toi...
Mais ELLE, ne m’a pas oubliée. 
 
Lorsque elle constate ma présence montante sur le forum, SON territoire, elle change de pseudo, d’âge et de localisation, revient sur le forum “Entre filles” en “UsualSus”. Je ne l’identifie pas tout de suite, mais je l'ai remarquée. Dans son infatuation mythomane, elle prend pour elle la déclaration de PassP à mon égard, “Tu me plais, quel événement...” J’ignore encore qu’elle a eu une lointaine aventure avec elle, conclue en crise de nerfs et lancé de meubles. L’insupportable événement pour UsualS, c’est de découvrir que je plais à Pass, que je renais dans son territoire, et pire encore, que M.I. vient de me déclarer son modèle, sa nouvelle Reine du forum...

Usual Warrior rentre en scène. Elle poste un sujet débile, “Fuck them all”, destiné à la définition des “bons coups”, je me laisse piéger en répondant que tous mes “coups” l’ont été (bons), à 97 %, et bien sûr, je me fais aussitôt épingler par une allusion perfide concernant celles que j’aurais déçues...

L’allusion indirecte est la grande arme d’Usual et du forum en général, du moins pour toutes celles qui sont aguerries. Comme il est interdit d’injurier ou de diffamer, il suffit d’écorcher sans la désigner la cible concernée (qui se reconnaîtra sans peine), sachant que les bonnes lectrices comprendront l’allusion ou se la feront expliciter en dial. Technique simple et efficace: on ne peut pas répondre (puisque on n’est pas nommée), et l’on se désigne soi-même comme l’injuriée (à un nombre plus grand encore de lectrices) si l’on a la faiblesse de répondre, tout en risquant au final d’être accusée de paranoïa ou de nombrilisme puisque on n’était nullement attaquée...