lundi 14 mars 2011

Jab dance


AL13
Extérieur nuit. Nous redescendons dans les broussailles, mes mollets se déchirent, le froid court derrière nous comme un chien, nous glissons sur le tapis humide, elle démissionne et s'assied. Je reviens en arrière, je dis allez courage, elle sourit en se relevant.
Nous fuyons la nuit épaissie, la peur, je dis ça ira, quand une maison éclairée déchire le voile. Nous revenons sur la route vers le village immobile, vers l’unique foyer de lumière d’une terrasse, je bois un cappuccino sans paille et les gens nous regardent.
Il y a des soirs où la nuit me semble plus encrée, plus pleine de nuit, comme une nuit du chasseur sans Mitchum. Une nuit retirée en elle-même qui vient lécher les essuie-glace.
Disparue des débats, avalée par son drame, AL13 est une des rares femmes attirantes du forum avec qui je n'aie pas couché. Sa perdition m'a transpercée, arrêtée. Et c'est pourquoi je la raconte en premier dans ces scènes de la vie particulière qui ont poussé sur le terreau du GaiJardin.
Ma vie inventée par le forum.

Même ciel, poster comme on respire.
Passé Montaigne, je mets en ligne une série de topics touffus qui génèrent un mélange toujours à peu près égal d’intérêt et d’agacement. Sur la corrida tout d’abord, que je vois régulièrement épinglée comme l’une des plus atroces barbaries de ce monde.
Le problème est à chaque fois : arriver avec un dossier énorme, 20 à 30 réponses argumentées et documentées aux objections qu’on ne m’a pas encore opposées, avec pour résultat un silence gêné, troué de temps à autres par quelques cris de réindignation passant allègrement par dessus mes explications (trop longues et rarement lues). Ma position est simple : 1, la corrida n’est pas de loin le traitement le plus barbare et le plus inhumain que l’on fasse souffrir aux animaux en Europe (notamment aux malheureuses viandes de l’industrie agro-alimentaire) ; 2, elle a l’avantage en tant que violence d’être visible et non-banalisée (contrepoids à la violence massive et imperceptible de l’abattage de masse) ; 3, elle est la condition de survie d’une espèce animale inemployable ainsi que de tout l'écosystème qui lui est associé : le toro bravo, le campo.
Or la violence contenue dans une boîte de pâté ouverte devant la télé, la violence de l'œuf concentrationnaire, le vivant abruti, épluché, embouti en silence dans la mort sérielle, de tout cela nous avons perdu la conscience.

Peut-on penser sur un forum ? J’ai de plus en plus l’impression que non. Ou alors pas à pas, tous ensemble, à supposer que personne ne prenne trop d’avance sur les autres. La question du débat est-elle définitivement inintéressante pour l'intelligence collective ? Oui au sens où il s'agirait toujours de tenir une position et de ne pas en démordre au risque de perdre trois centimètres de territoire ; non au sens où toute discussion dans laquelle on n’aura pas cédé fera toujours des petits, après-coup. Nous avons tous connu cela.
Selon PumaB l'erreur est d'ouvrir le dialogue en toréador : j'apprends à considérer mon “érotisme d'affrontement”, dit-elle : soit. Je repasse côté corne avec don de mon corps à la médecine, version vachette.

C'est un topic scabreusement intitulé “viol blanc” qui découle à la fois d’un souvenir personnel (une pénétration vécue pendant mon sommeil que je n’ai jamais vécue comme un viol) et de considérations sur le durcissement de la législation quant à la notion de “consentement” (éclairé, exprès ou juridiquement recevable). Ma question concerne tous les cas où un consentement ne peut avoir été formulé (sommeil, coma, état altéré, mineurs sexuels ou animaux) sans que pour autant le refus de l’acte ait été manifeste. On est en plein sujet sensible, viol, pédophilie, zones troubles où l’on consent parfois sans consentir (le célèbre sommeil de la Marquise d’O pendant sa propre agression), exactement le genre de chose à faire hurler un forum.
Le Puma balaie ma question d'un grand revers de n’importe-quoi, mais la conversation prend. Et ô miracle, une voix tombée des ceintres prend corps devant moi, répond pas à pas, développe un plan de résistance qui finira par m'éprouver rudement.  C'est ce simple cillement qui l'emporte : ai-je raison ? Peu à peu un long face à face s’installe entre nous, jusqu’à épuisement des ressources, des yeux, des doigts. Tout y passe, pendant une semaine, Marcela Iacub, Almodovar, Christine Delphy, je finis éreintée, ébranlée, et redevable. Primoposteuse, elle s’appelle Gate, jeune et dotée d’une faculté d'interposition chirurgicale : malgré le désaccord acharné entre nous, ce sera le début d’une longue fidélité sur le forum que je sais réciproque.

Mais voilà : les posteuses laissées sur le bas-côté, les féministes revendiquées en concevront une humeur irréparable. Un ardent débat se donne à voir sur “Bavardages”, dont elles n'ont pas été. Que je me lance dans un tel corps à corps sans autre intérêt que ce qui s’y dit, cela est inimaginable. Je ne connais pas même le visage de Gate, je ne lui ai jamais parlé, je ne la rencontrerai jamais et n’ai pas tenté de l’approcher, mais déjà une version circule au sujet de ces face à face qui se répéteront : voilà comment je “branche”, comment je jette tout mon érotisme surintellectualisé dans l'arène pour capturer, ligoter, emballer les belles du forum.
Un pseudo muet assiste à l'échange, il se précipite sur la fleur nouvelle : UsualS. Avec les mêmes tentatives de mise en garde et de retournement, que Gate me rapportera.

Un peu plus tard, de retour de Cannes où j’assiste à un marathon de projections, je poste un compte-rendu sur quelques-uns des films vus ce jour-là. Une nouvelle pépite tombée des ceintres vient me répondre sur l’homophobie contestée de la Nouvelle Vague, -primoposteuse et cinéphile sérieuse dotée d’un débit à toute épreuve : B11. Il s’ensuit un échange bien achalandé qui me vaudra ma troisième grâce concurrentielle sur le forum : quelques jours plus tard B11 est contactée par l'usuel commando, sommée de penser tout le mal qu'il faut penser de moi en ces circonstances. B11 résiste et me passe l’info, c’est la 5ème fois depuis que je m’exprime sur le forum.

Tout est en place.
J'erre dans l'ombre humide du boulevard, pleine d'haleines rauques et suspendues. Une backroom qui n'existe nulle part, où déambule une femme armée d'un compas.

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