jeudi 3 mars 2011

Ennemies blues, le monde des soustractions


Ça faisait longtemps que je n’avais plus eu d’ennemis, de vrais, je veux dire dans la vie, dans ma vie sans GD.
Parce que dans la vie c’est simple, les gens qu’on n’aime pas et vice-versa, on les fuit. Et si on ne peut pas les fuir on les évite, enfin moi en tous cas.
En arrivant sur le forum, je ne savais pas que j’avais une ennemie, une ennemie d’en amont, une ennemie de l’époque où j’avais un pseudo mais pas de voix, une ennemie venue des draps, des bras, comme à peu près tout ce qui arrive d’heureux ou de malheureux sur Gaidrome.

Elle s’appelait Polonium en ces temps charmeurs, et j’ignorais qu’elle avait déjà une longue, une remuante carrière de posteuse derrière elle.
Elle avait surgi comme ça, d’entre les milliers de profils qui se cherchent et se tâtent en pv, et nous nous étions rencontrées.

Présence fraîche et agréable, petite femme au visage sain, plaisant, peu marqué par le temps, qui ne cherchait ni à ressembler à une lesbienne ni à son contraire. À peine une ombre, une trace de bégaiement surmonté dans la voix, un certain silence de retrait parfois quand je parlais, mais somme toute une rencontre agréable. Ce ne fut pas “leurs yeux se rencontrèrent” parce que ce n’est jamais “leurs yeux se rencontrèrent” sous GaiLife. Dans la gigantesque Machine à Trouver (sans se perdre) il n’y a pas de surprise, pas de hasard. On n’est pas happé par un phénomène émotif, on pèse, on évalue, on met le doigt sur une carte et on la retourne, avec plus ou moins de bonheur.
J’aurais voulu ce soir-là m’en tenir à la causerie, elle insiste -je me revois hésitant à l’angle de la Canebière et du Vieux-Port, je n’éprouve pas de hâte, elle me touche, nous montons chez moi.
Cette scène précipitée, combien de fois ne s’est-elle pas répétée ?

C’est la loi des minorités. Pour une hétérosexuelle, la totalité des hommes qu’elle croise dans la rue sont une espèce possible. La solitude de l’homosexuelle, c’est qu’il y ait une immense majorité de femmes impossibles, soustraites à son désir, et un non-moins immense continent masculin porteur d’un désir auquel elle se soustrait. L’homosexualité, c’est le monde des soustractions. Lorsque une homosexuelle pressent ou croit reconnaître une autre homosexuelle dans cette masse soustraite, le monde s’éclaire un instant, la soustraction recule. Elle n’est pas libre ? Elle ne lui plaît pas ? Peu importe, cette femme homosexuelle qui passe rétablit un instant la normalité du désir, la possibilité de choisir ou de ne pas le faire. Dans les petites villes, à la campagne, dans les pays où l’homosexualité est claquemurée, l’homosexuel-le vit en exilé-e du désir. Et cette loi fait que lorsque une homosexuelle rencontre une autre homosexuelle disponible, possible pour elle voire plaisante, l’une et l’autre n’attendent pas de savoir jusqu’à quel point elles se plaisent pour se sauter dessus.

Prendre le temps de se vouloir, de laisser monter des images -son visage qui me reviendrait au réveil, une phrase que je n’aurais pas comprise, la sérénité de se dire qu’une promesse fragile nous unit déjà, tout cela est grillé en une nuit dans la rencontre GD.
Elle s’approche, pose les mains sur mon cou, et nous voilà au travail. Une nuit, deux nuits, trois. Des nuits agréables et méfiantes : je ne me rends pas tout à fait à ses jugements péremptoires, sa manière de prendre et de ne pas donner grand chose, le son mat qu'elle rend quand je parle...
Mais très vite la faille se précise, dans les rendez-vous remis, son désir de passer à l’improviste (me rendre disponible, me mettre en attente), ses exigences de reconnaissance à l’égard de son génie artistique que je ne commente jamais comme il faut, ses petites remarques sur mon intérieur, mon mauvais lit signe de dèche, mon manteau en cuir signe de richesse, tout à la fois et son contraire.

Polonium est une catastrophe vivante abritée derrière une fiction compensatoire de survie qu’elle reconstruit à chaque rencontre ; toute fissure est une attaque. En vérité RMiste qui se la joue artiste, altermondialiste, radicalesbienne, des heures derrière un Mac luxueux et totémique qui contient tout son art, persuadée d’écrire très bien sans avoir rien écrit, ne payant pas son loyer et gardant sous le coude un héritage consistant auquel elle ne touche pas tout en dispensant de temps à autres des stages de “pédagogie corporelle” qui ne la font pas vivre : une structure mentale de gourou sur une existence qui prend l’eau.

Au fur et à mesure que je me défends, le ton monte. Attaques contre mon bagage intellectuel, ma façon de vivre, mon cortex, tirades de plus en plus longues et furieuses en dial contre mon être mort-suffoqué, et lorsque je romps finalement l’échange, salve de mails orduriers contre tout ce qu’elle a pu observer ou flairer de ma vie, y compris et par dessus tout le fait d’être littéraire.

L’expérience Polonium, qui ne manque pas d’être effroyable (tant la laideur et l’intuition de son style surexcité finissent par coloniser toute ma personne) me fait toucher du doigt une chose que je n’ai jamais connue : l’expérience sectaire, la manière dont un Maître commence par démembrer vos assises pour vous placer en son pouvoir.
La vérité c’est qu’elle abhorre les intellectuel-le-s, avec lesquelles elle ne cesse de vouloir coucher. La vérité c’est qu’elle veut dès les premiers jours 1, me casser, 2, me baiser.
Et le fait est qu’elle a réussi à me faire douter, un temps, dans le face à face solitaire avec elle, à me réduire à : RIEN, avant de basculer dans un délire verbal suffisamment clair pour être libérateur. Isoler, mépriser tout ce qui a pu faire quelqu’un, sa culture, ses amis, ses passions et ses attachements, pour le transformer en proie souffrante et malade (qui s'ignore), dans un tel état de séparation qu’il ne pourra plus que tomber dans l’escarcelle charlatane, voilà la parole gouroue.

Lorsque j’arrive sur le forum, j’ai depuis longtemps oublié Polonium. Plus tard, une mise en garde de HairFroy concernant d’autres tentatives de conquête polonienne confirme mon intuition : “Elle te méprise avant même d’avoir couché avec toi...
Mais ELLE, ne m’a pas oubliée. 
 
Lorsque elle constate ma présence montante sur le forum, SON territoire, elle change de pseudo, d’âge et de localisation, revient sur le forum “Entre filles” en “UsualSus”. Je ne l’identifie pas tout de suite, mais je l'ai remarquée. Dans son infatuation mythomane, elle prend pour elle la déclaration de PassP à mon égard, “Tu me plais, quel événement...” J’ignore encore qu’elle a eu une lointaine aventure avec elle, conclue en crise de nerfs et lancé de meubles. L’insupportable événement pour UsualS, c’est de découvrir que je plais à Pass, que je renais dans son territoire, et pire encore, que M.I. vient de me déclarer son modèle, sa nouvelle Reine du forum...

Usual Warrior rentre en scène. Elle poste un sujet débile, “Fuck them all”, destiné à la définition des “bons coups”, je me laisse piéger en répondant que tous mes “coups” l’ont été (bons), à 97 %, et bien sûr, je me fais aussitôt épingler par une allusion perfide concernant celles que j’aurais déçues...

L’allusion indirecte est la grande arme d’Usual et du forum en général, du moins pour toutes celles qui sont aguerries. Comme il est interdit d’injurier ou de diffamer, il suffit d’écorcher sans la désigner la cible concernée (qui se reconnaîtra sans peine), sachant que les bonnes lectrices comprendront l’allusion ou se la feront expliciter en dial. Technique simple et efficace: on ne peut pas répondre (puisque on n’est pas nommée), et l’on se désigne soi-même comme l’injuriée (à un nombre plus grand encore de lectrices) si l’on a la faiblesse de répondre, tout en risquant au final d’être accusée de paranoïa ou de nombrilisme puisque on n’était nullement attaquée...

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