“Raaaaa, grrrrrrrr, va te faire atelier d'âcriture toâ, nerffffffs, hummmmpfff, yellow smile, toâ nawakmerd, toâtoâtoâ arrrrrrhh, cariéticône, je te arrkkkk, grinchh, va te faire vache, vlan, vete, tue-moi, négroticône, ki ki te lit encoretoâ ? pouahhhh, euuuuurk, lovlovmiplisss, lovmedesaster, negrote, infâm, va te merder à oh 12 h 30 pouaaahhh”
Vous vous souvenez de la litière de chat ? Ok.
PassP revient. Wuah ! Sur le forum et pas seulement. Wuahwuah comment ça va flinguer maintenant. Postez furax online, vous allez voir. Schatz. Mein Traum. Verse deux gouttes de nitro sur de l'huile d'e-friture et attends. Je vais la tuer. Qui, elle ? Moi aussi. Laquelle des deux ? En duel ? On est revenues les furax. Moi aussi ? Nous toutes. On n'a plus fait sabbat depuis des siècles. Gouine noire. Ton châton je le bouffe sans cuisson. Sans cuisson.
Je
sors du travail, je passe aux Danaïdes. Deux amis me font signe :
“regarde
qui voilà !”...
Stupeur.
ELLE.
Assise à la terrasse. Assise et souriante entre MES amis, mes chères
folles. Qu'est-ce qu'elle fout là bon dieu ? 900 kilomètres de
pseudo mur protecteur abolis. S'est liée avec AL, vit chez elle, “a
des choses à faire à Marseille”, plaisante avec ThéronZ, Wiklau.
Incrustée. Le ricanement contenu qui lui fait briller les yeux. La
bonne blague.
Je
quitte “entre filles”, je fais demande d'asile politique sur
“bavardages”, je me glisse entre ses garçons. Et en nous lisant,
en nous entrelisant, ma pensée file vers un nom : Dustan, Guillaume.
Même sans personne, même sans garçons, j'ai souvent repensé à
Dustan. Ses livres disparus des rayons, sa morgue d’oursonne tendre
et pensive, ses titres en forme de compte-à-rebours. Je contemple la
plaie noire de sa disparition d'enfant prodige : si j'ai une fille,
G.D., fais-nous l'honneur de revivre chez moi.
C’est
une des plus belles pages de Beatriz Preciado dans Testo
Junkie
qui
réveille ce souvenir. “Ta
mort”.
“Tu
as pourri pendant deux jours dans la position même où tu es tombé.
C’est mieux comme ça. Personne n’est venu te déranger. On t’a
laissé seul avec ton corps, le temps qu’il fallait pour abandonner
toute cette misère dans le calme. Je pleure avec Tim. Ce n’est pas
possible.”
Je
poste “William B. pour mémoire”, presque sur la pointe des
pieds, tant je crains de voir resurgir l'image-repoussoir :
barebacker.
Juste un peu de William B. corps perdu, et de Guillaume D., écrivain.
En pure perte. À chaque fois qu’on parle de Dustan avec des pédés
c'est toujours la même chose. L'épouvantail médiatique, la bête
noire d’Act Up, celui qui s’est fait plomber deux fois, par le
virus et par le milieu, afin de mieux resserrer les rangs d’une
néogay communauté chic, safe et électoralement présentable.
Quand
on me demande ce qu’il a apporté littérairement je pense à son
geste inaugural. Dustan est venu dire “je sors ce soir”. Tout ce
qu’il fallait pour sortir un pédé de sa chambre, apprendre à
s’habiller, danser, faire l’amour, cuisiner ou expérimenter des
états sensoriels d’une manière qui restait à inventer, il l’a
inventé. En vivant, en écrivant. Et comme il ne savait pas encore
QUOI au moment où il sortait de sa chambre -et se mettait à
l’écrire avec un léger différé temporel qui est l’un des
temps les plus courts de la maturation littéraire, Dustan a
découvert une sorte d’énonciation : un perpétuel présent
courant sur l’instant, sans jamais l’enfermer, un existentialisme animal.
Je
ne l’ai jamais rencontré, je l’ai lu pendant deux ou trois ans à
Buenos Aires où j’allais deviner et reconnaître l’un de ses
amants du Chili qui travaillait à Santiago, et j’ai toujours
ressenti pour lui une amitié, une tendresse confiante que je n’avais
pour personne de connu.
Une
sensation qui débordait, ou déplaçait largement le champ habituel
du littéraire : je l’aimais.
Marcelo
a laissé son sang noir dans un de mes lits et une édition grand
format de Nicolas
Pagès où
Dustan lui avait écrit une sorte d'adieu, à la main. “Je ne le
vois plus. Il est parti dans l'héroïne.”
Dustan
était un manifeste au quotidien, avec une égale confiance il citait
le journal d’une vieille tante, une chanson, un boum boum de dance
floor plus fort que les voix, parce qu’il croyait en toutes ces
aptitudes à se vivre et à s’inventer, je gobe, je gobe un œuf,
un ecsta, une queue, un trajet jusqu’au Monoprix du coin ou jusqu’à
la tireuse. Il était “Saint-Sade” comme a dit Causse, il a tout
pris en lui : le monde, les queues, la pisse, la pharmacochimie, les
capotes qui explosent, sa responsabilité et celle du contamineur. Il
a tout pris et il n’en a fait ni un temps perdu ni un temps
retrouvé, il en a fait Guillaume
devient pédé.
Est-ce
qu'on savait seulement ce que c'est être pédé ? Passer à Act up,
prendre un verre au Duplex, se faire sauter au Quetzal ?
G.D.
a totalement cru en la contre-culture. Quand il disait de toutes les
minorités les homosexuel-les sont les seul-es à être né-es en
terre étrangère, il n’était pas loin d’un État
transpédégouine. La Révolution culturelle on l'avait, avec Dustan
à l'éducnat, Despentes aux affaires sociales, Angot à la justice*.
On se serait amusé au moins, le temps d’une nuit... Et pas de
ministre de l’Intérieur : seulement je sors ce soir. La question
se serait sans doute posée de savoir si on pouvait faire travailler
des transpédésgouines et comment. Mais la question se pose-t-elle ?
est-ce qu’on a besoin de travailler quand on ne fait pas d’enfants
? Est-ce que vous vous êtes jamais posé la question de ce qu’il
en est d'être simplement soi et de n'avoir rien d'autre devant,
une-vie-une-mort-point-final ? Ce que ça changerait de vivre
sans bâtisseurs d’avenir, sans nucléaire, sans Institut de
Catastrophe, avec des gens qui se débrouilleraient simplement comme
ils peuvent de leur catastrophe à eux.
Quand
je repense à Dustan je pense à ceux qui en sont morts. On peut dire
que ça fait de sacrés personnages et que lorsque par chance ils en
sortaient vivants ils en sortaient grandis. Des féroces, des furies
de douceur. Éric, Pedro L., Virginie D., les folles de Pinochet,
Lydia Lunch... Le seul problème aurait été d’être orphelins,
doublement orphelins de nos parents qui ne sont pas les nôtres (qui
se demanderont jusqu’à la fin des temps ce qu’ils ont fait pour
nous enfanter), et de ceux qui auraient pu l’être s’ils
n’étaient morts avant de nous avoir reconnus, et enfantés...
Michel Foucault, Jean-Marie Koltès, Copi, Guy Hocquenghem, Jean-Luc
Lagarce, Rudolf Noureev, Jorge Donne, Klaus Nomi, Hervé Guibert,
Anthony Perkins, Rock Hudson, Freddie Mercury, Keith Haring, Armando
Llamas, Robert Mapplethorpe et finalement... Guillaume Dustan.
Imaginer
un tout petit État minoritaire sabré dans sa jeunesse par la
névrose, la drogue et le suicide (quand ce n’est pas le bistouri),
privé de ses plus illustres inventeurs et orateurs... cela s’appelle
“Bavardages”, femme Narsès. Un petit salon mort-né où l’on
enterre pour la troisième fois G.D. avec des cris de gazelle
graciée.
In
memoriam G.D. (comme
"Gaidrome") me vaudra une sorte d’exclusion froide et
polie de “Bavardages” (concrètement “tu postes, mais on fait
comme si tu n’avais rien dit”), la rancune acide d’IlbariX
(pédé social-misogyne non dépourvu de talents qui a mené de
retentissantes attaques contre certaines harpies d’”Entre
filles”), et plus tard encore le hoquet d’une néo-ennemie
(without a cause) de chez Lesbos qui proclame publiquement avoir vomi
à la lecture de mon topic : “MazDa”.
Pourtant
une voix descend encore des ceintres : seul contrepoint ex
machina,
le pavé incendiaire d’un nommé Syntholgel qui se fait rare
partout et tombe avec une fureur indignée sur les “tapettes
intégrationnistes” du Marais, prêtes à renier tout ce qu’il
faut pour accommoder leur cul dans les beaux quartiers. Cris,
accusations d’homophobie ; je le reverrai très peu sur
“Bavardages” et systématiquement ignoré : G.D. nous a
tuer,
je reflue du côté d’Entre filles.
boumboumboumboumboumboumboum
boumboumboumboumboumboumboumboum boum
Parfois,
certains soirs, quand le ciel est lourd, froid ou triste et que les
corps se sont à peine réchauffés avant de venir s’asseoir devant
le clavier, on sent monter cette envie des esprits exaspérés de
poster : le forum est plein, douloureux d’une envie de tuer.
Envie
de mourir quand nous baignons dans la matrix crétinomachiste, de
nous entretuer entre nous.
*
J'ai barré Angot pour des raisons d'évolution récente. Le
ministère de la justice reste donc vacant.
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