mardi 15 février 2011

Hache 24

Sept mois.
Je suis tombée sept mois dans un forum.
Le test était positif : tous mes indicateurs avaient viré juste au moment de poster pour la première fois sur Gaidrome : cyberdép.
Qu'allait-il se passer ? Qui allait me répondre ? Y aurait-il des conséquences ?
Il y en a eu. Elles ont été énormes.
C'était en 2009, mois de mars, à ce moment précis où l'on ressort la bicyclette et les pantacourts. Moi, ce jour-là, j'ai « posté ». Je n'ai pas ressorti la bicyclette. Je ne suis pas sortie.
Mes jours, mes nuits, mes pensées, mes fantaisies se sont engouffrés dans ce petit bloc gris aluminium qui reste allumé de jour comme de nuit. Sept mois. Ce n’était pas une prison bien sûr, sauf que je ne pouvais pas en sortir ; c’était une addiction comme on dit.
Le 5 mars 2009, jour de mon entrée en matière sur le forum “entre filles”, une “historique” postait ce proverbe annonciateur :



“Tomber sept fois
Et se relever huit” .

Pendant sept mois, j’ai oublié mes amis, j’ai cessé de sortir ou alors pour fuir le forum, je suis allée lire loin du forum, je suis rentrée chez moi pour retrouver le forum, j’ai lu les posts du forum depuis Cuba, j’ai aimé ou haï des personnes du forum dont je ne connaissais même pas le nom, j’ai posté 1977 fois des interventions de 3 à 30 lignes, j’ai rêvé de mes posts, je me suis relevée la nuit pour voir si le forum dormait, j’ai acheté une table pour poser l’i-book à côté de mon lit, j’ai abandonné les Essais de Montaigne parce que le forum n’aimait pas, je n’ai plus eu le même temps, le même rythme : ma vie s’écoulait au rythme de la succession insensée des posts sur le forum, même quand je n'y étais pas, même en dormant, ça postait de partout chez moi.
Je me suis mise à parler, à répondre comme sur le forum, j’ai rencontré des personnes du forum, j’ai tué mon trackpad, je l’ai remplacé par une souris, j’ai eu la marque de l’i-book sur le ventre, j’ai même failli arrêter de fumer à cause du forum... pendant sept mois.



"Une énorme centrifugeuse de haine, d’humour, de banalité
ou d’intelligence qui ne cesse d'attirer en son centre
et de rejeter vers les marges"...

Des forums il y en a pour tout désormais. Des apicoles, des bricoleurs, des pour les schizophrènes, des qui parlent des manchots et de leurs frères pingouins, on peut tout faire, on s'y essaie d'ailleurs, mais je me demande s’ils génèrent au fond la même folie.
J’ai aimé pendant cinq mois une femme du forum que je n'avais jamais rencontrée. J’ai attendu, j’ai patienté comme je n’avais jamais patienté, je n’ai jamais eu autant de peine à attendre, à patienter, à espérer, comme si toute ma vie avait été mise en suspension, prise en otage par le forum qui me réclamait sa rançon.
Lui, il. Comme une maison, comme une machine qui m'aurait pendant tout ce temps brassée, ruminée, ingérée et redéglutie. Vingt à trente sujets par jour, des taux de lecture bondissant allègrement au-dessus de mille en quelques pages, un compteur d’action qui bat dans TES tempes, avec TON sang.

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