vendredi 25 février 2011

Loguez-vous les unes les autres


"Thanks for the whole & Hope Uguess my name"  

Comment faisait-on pour vivre quand on n'avait pas de pseudo ? Comment faisaient-ils les gens pour s'appeler toute une vie Jeanne, Henri, Achille ? Est-ce qu'ils se le susurraient un peu le matin, devant la glace, combien ils en avaient marre et remarre de ce chien couché devant leur porte ?

 Une petite fantaisie, un jeu de mot, un possible de soi mis au monde sur une page de login. Combien de millions d'identités virtuelles créées durant ces dix dernières années ? Quand les héros dorment, les pseudos dansent.
 
Ce simple petit arrimage technique devient en forum la substance d’une personne, son visage, sa dégaine, son style, son histoire, son odeur... On ne clique pas forcément sur un profil quand on lit l’intervention d’un pseudo, mais on finit par en savoir sur celui-ci bien plus que n’importe qui d’autre dans sa vie. Ce qu’il fait à deux heures du matin, comment il couche, de quelles maladies graves il a souffert, ce qu’il mange, ce qu’il lit, ce dont il a rêvé la nuit dernière...
Ce que ses voisins, ses collègues, ses proches même ne savent pas, moi je le sais. 

Comme une langue apprise de plus en plus profondément au fur et à mesure que l’on aperçoit 2, 5 ou 10 significations dans un mot, le pseudo prend de plus en plus de corps au fur et à mesure qu’on le lit. Il est aussi la seule chance de nous enfanter dans un monde fait par d’autres, une autre manière de ne pas porter le nom du père, un jeu de dés avec ce que nous en ferons sur le forum : table rase, programme fou, identité ouverte. 

Au cours de ce premier cyberété de 2009, nous nous sommes décomptées si nombreuses à poster de Marseille que nous avons décidé de nous rencontrer : le gang des Marseillaises s'est réuni chaque mois jusqu'à la fin de l'hiver, jusqu'à implosion. 

Quand nous nous sommes vues pour la première fois, table de femmes réunies dans un bar par ce non-lieu (le forum), ce n'est pas la présence physique de chacune qui était “en plus”, c'était plutôt l'inverse. L'aura énorme, le réservoir de faits bruissants, d'échanges et de données invisibles présidant à cette addition de présences. Nous nous sommes nommées et reconnues par nos pseudos avec un grandissant plaisir. Quelques-unes tentèrent bien de replacer nos étiquettes civiles, mais pour la plupart nous n’avions aucune envie de renoncer au lien privilégié que ces “autres noms” créaient entre nous. Si nous avions immédiatement des tonnes de choses à nous dire c'était à cause d'eux, à cause de cette vieille pratique entre nous. Quand pour la première fois AL13 m’a nommée “liste” j’ai senti cette identité énorme fondre sur moi : je ne m’étais jamais sentie aussi grande, bigger than life...

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