vendredi 18 février 2011

Bienvenue dans le désert du réel



J'ai mis longtemps à comprendre qu'un espace comme celui-ci se situait au croisement de pouvoirs explosifs. Tout un champ de forces mêlées d'enjeux terribles : avoir à s'exprimer publiquement à l'écrit, souvent à armes inégales, dans le seul lieu (pour beaucoup) où l'on ne vive pas le sexuel sur le mode de la soustraction, se donner publiquement tort ou raison, se faire ou non des amies, des ennemies, des admiratrices, et de cela tirer son minimum de survie symbolique (ou sexuelle)... Ce sont ces enjeux très forts, rarement aussi bien conjugués dans la vie quotidienne, qui expliquent les tempêtes régulières du forum « entre filles ».
Lorsque je suis arrivée en mars 2009, il retentissait encore de la dernière guerre. Comme après un grand cataclysme, il y avait un avant et un après. Des rescapées venaient regretter cet âge d’or où l’on s’amusait jusqu’au délire, rappeler les pseudos disparus comme on compte ses morts, dénoncer ou encenser les coupables et les expulsées (parmi lesquelles la mythique Cruella, capitaine infantile d’un commando de murènes mortes), répéter aux nouvelles venues à quel point le forum était devenu triste et mort depuis qu'elles y étaient... L’ensemble des forums venait d'être fermé pendant trois jours par la modération du site afin de mettre fin à la curée des filles...
Entrer sur le forum, c’est comme ouvrir un roman en page 300 sans savoir qui est quoi, où en sont les actions et comment elles se sont attachées aux noms. On se sent entourée d’un mélange d’attente, de surprise et d’hostilité. Voilà “le club des supermaboules qui se la jouent” en lice, on ne comprend rien, on voit revenir des tournures comme “Unetelle, sors de ce corps !” (comme à chaque fois que l’esprit mauvais d’un pseudo semble s’être emparé d’un autre), mais on ne sait pas pourquoi et pour qui...
En cherchant cette page découverte le 5 mars, le fronton de cet immeuble dont j’allais pousser la porte, je m’aperçois qu’il n’existe plus, qu’il n’a pas tenu plus de quelques minutes... Au 5 mars 2009 (archives du forum), il n’y a plus que les sujets postés en amont qui se sont achevés le 5, ou bien ceux qui ont à peine survécu un jour, l’espace d’un matin... La plupart ne faisaient que passer pour aller mourir sur une autre page, à une autre date : la liste des vingt sujets découverts au moment de mon entrée a été recouverte par une autre vague.
Je repêche quelques titres lus ce jour-là : “le silance haie dort” de ArgenZiel, “Ça s’saurait et ça va s’savoir sont dans un bateau” de Slatrine, “Interdit aux femmes : féminisme et censure de la pornographie” de Charbunker 17, “La tentation du silence” (écrit à l’encre sympathique) par Panthère B... Et je ne retrouve plus “Le bras anti-sexe” par lequel je suis entrée...
Comment attraper cette histoire toujours en mouvement qui n’en est pas une ? Régulièrement le forum se représente, s’interroge et se décrit lui-même. Un jour comme un ascenseur où l’on entre et sort à tous les étages (de bonne en mauvaise rencontre), peut-être dans l’espoir (rarement assouvi) de parvenir au 7ème ciel. Partout des bloqueuses de porte, des qui jouent avec le bouton pour vous empêcher d’aller là où vous allez, des topics qui plongent dangereusement vers le bas d’écran avant de disparaître dans l’oubli de la page 2, d’autres que l’on “remonte” d’un clic pour leur rendre vie, et parfois, très rarement au creux d’un après-midi, de courts instants de panne où dans un silence oppressant un pseudo affligé s’écrie : y’a personne today ?
Le forum a horreur du vide...

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